Chronique|

Le don des animaux en héritage

Une « marraine » peut s’avérer fort utile pour épauler et soutenir une maman dans le besoin afin de lui assurer du répit et voir au bon développement de ses petits.

CHRONIQUE / Dans un coin du divan de la salle de thérapie, un préadolescent flatte une chatte noire et blanche lovée sur ses genoux. Une jeune femme autochtone, assise au sol, agite sous le nez de chatons excités une canne à pêche à chat. « C’est votre fils qui l’a confectionnée. Hein, Amun !? Ç'a vraiment fait toute la différence pour apprivoiser le p’tit roux, Élios. Ça, c’est grâce au jouet, à ta patience et à ta grande sensibilité avec les poilus! », dit la psychothérapeute. « Ah ouin!? Ça ne me surprend pas. Yé bon de ses mains, mon Amun. Pis, comme moi, y’a toujours aimé les animaux. »


La jeune mère autochtone, rayonnante de fierté, se lance dans l’énumération des réalisations manuelles et animalières de son garçon. Le préadolescent garde les yeux baissés. Ses joues se teintent d’un rouge visible malgré sa carnation cuivrée. Immobile, il écoute de toutes les fibres de son être sa maman qui enchaîne : « Mais là, expliquez-moi. Y viennent d’où, ces chatons-là? Et les chattes? » La thérapeute jette un coup d’œil au garçon afin de vérifier s’il aimerait répondre à sa mère. Amun se fige. Il n’est pas prêt à prendre la parole.

Pour Amun, qui vit en centre jeunesse, cette première séance en présence de sa mère biologique (visite rare) s’avère exigeante. Les émotions se bousculent en lui, comme en atteste l’intensité du massage félin offert par Marylin-Monroaouuu, la chatte noire et blanche de l’équipe, partenaire en médiation animale - zoothérapie. Elle joue ici son rôle d’animal régulateur. La thérapeute comprend et, sans insister, se met à raconter. Elle explique l’histoire de cette famille féline et le coup de patte qu’ils reçoivent ici, dans le cadre du programme chatte-chatons. Elle introduit le rôle clé de Marilyn-Monroaouuu, la marraine de tous. Le récit relate la jeunesse d’une mère (une très jeune chatte), son errance (sans humain significatif ni domicile connu), les tentations de se détourner de son rôle de mère (on rapporte la sollicitation des matous; on présume la faim et la froidure automnale qui n’invitent pas à rester dans un nid glacé), la perte d’un petit (chaton trouvé mort gelé), leur arrivée ici, l’entrée dans leur vie de différent.es intervenant.es à deux et quatre pattes, la méfiance initiale, la confiance qui se tisse, etc.

Le programme chatte-chatons sait toucher la sensibilité de bien des humains. Misant sur le principe de « soigner par le soin », certains modèles de pratiques en médiation animale – zoothérapie permettent une réciprocité dans les bénéfices.

Pendant tout le récit, la femme garde les yeux fixés sur une seconde chatte perchée dans l’arbre à chat. Jeune et efflanquée, elle est la mère des chatons. À un moment, féline et humaine croisent les regards. L’une cligne lentement des yeux à quelques reprises alors qu’une larme roule sur la joue de l’autre. La thérapeute est alors frappée par l’idée que ces deux-là ne sont guère plus que des adolescentes. Après un long silence, la mère d’Amun prend la parole. Sa voix se fait profonde et elle égrène les mots au rythme des douces oscillations imprimées à la canne à pêche à chat restée entre ses mains. Les chatons, jusqu’alors agités, se posent pour se toiletter ou se prendre à ronronner, paupières semi-fermées.

De son aveu, cette jeune mère se dit touchée par la vie de la chatte qui ressemble étrangement à certains chapitres de la sienne. Par-delà les frontières d’espèce, elle reconnaît donc une semblable. Si, jusqu’alors, la culpabilité d’être cette mère qui se détourne et qui néglige a longtemps été la polarité dominante de son expérience affective dans le lien à son fils, aujourd’hui, dans ce cercle de parole interespèce, elle trouve un espace sécuritaire pour reconnaître les défis à s’occuper d’un petit dans des conditions d’adversité. « Difficile de donner ce que l’on n’a pas eu. Surtout quand on a eu l’exact contraire à la place », dit-elle simplement. Mais l’heure n’est pas aux accusations. Ici, maintenant, elle abaisse le bouclier, habituellement brandi, de sa hargne à l’égard de tous ces « eux autres » qui l’ont tant malmenée. Par compassion pour cette chatte à laquelle elle s’identifie, elle trouve la manière de s’envisager réellement sans pour autant être assaillie par l’habituelle détestation d’elle-même. Pour la chatte devant elle, elle a cette bravoure et se montre telle qu’elle est. Elle lui expose son histoire, qui est aussi celle de son peuple, faite d’aspérités et de ruptures… Mais pas que! Ce faisant, elle se raconte à elle-même et à son fils. Amun, toujours silencieux, ne perd pas une miette de l’histoire que la jeune Autochtone confie à la chatte. Il ne savait pas... Sans réduire la violence de son propre vécu traumatique hérité, entre autres, du contact à cette mère blessée et souvent blessante, le récit s’offre comme autant de brins permettant de tisser un sens nouveau à leur histoire commune.

La jeune femme conclut en disant : « Maintenant, toi, Minette, t’es plus toute seule. Tes bébés sont en sécurité. » Et, se tournant vers son fils : « Toi aussi, Amun, t’es plus tout seul. Elle est correcte, elle. Juste à voir comment elle traite les chats… C’est bien ici, avec les animaux. » Comme pour marquer le coup de cette déclaration, Marilyn-Monroaouuu s’étire sur les genoux du garçon et, d’un bond, vient se frôler contre la thérapeute. La jeune mère, souriante, ajoute : « Tsé que tu tiens ça de moi, ce don-là que t’as avec les animaux. Je t’aurai au moins donné ça de bon! » De sa démarche de fauve, la chatte noire et blanche se dirige alors vers la porte. Jetant un coup d’œil par-dessus son épaule aux humains, elle miaule. « Oui, Marilyn. Tu as raison. On en reste là-dessus pour aujourd’hui. »

Marilyn-Monroaouuu (membre de l’équipe du Centre Humanimal). Hommage à toi, Grande Dame chez les chats ! Tu tends régulièrement ta patte aux êtres en besoin que nous mettons sur ta route. Je t’en remercie.