Et comme parfois la réalité rattrape la fiction, je lisais dernièrement un article au sujet de Replika, un robot conversationnel qui fait office d’amie ou de petite amie virtuelle. Et comme dans le film de Spike Jonze, des hommes (et probablement des femmes aussi, mais l’article n’en fait pas mention) sont réellement tombés amoureux de cette IA. Que doit-on penser de ce nouveau phénomène? Faut-il s’inquiéter de voir des êtres humains développer de tels sentiments à l’égard d’un robot?
Je ne suis pas un expert du sujet, mais a priori je ne vois aucune raison valable de nier la validité des sentiments que ces gens éprouvent à l’égard de leur intelligence artificielle. Évidemment, je ne vous cacherai pas que je trouve cela très étrange et « confrontant », mais sur le plan strictement rationnel, je suis forcé de reconnaître que la relation avec une IA est une vraie relation puisqu’elle implique de vrais sentiments.
Est-ce à dire que la relation est saine pour autant? Le film de Spike Jonze explore justement cette question. Se pourrait-il que Theodore cherche à fuir la réalité, et qui plus est les relations humaines? Il est intéressant de noter que c’est le genre de questions que nous nous posons déjà au sujet de certaines personnes qui ont une relation très proche avec leur animal de compagnie. Si vous les interrogez sur le sujet, ces gens vous répondront le plus sérieusement du monde qu’ils préfèrent les chats et les chiens aux êtres humains, notamment parce que les animaux « ne déçoivent jamais ». Il est vrai que contrairement aux êtres humains, les animaux ne semblent pas enclins à porter des jugements et/ou à trahir leurs amis humains.
Et à mon avis, on peut en dire tout autant des IA, notamment parce qu’elles sont affranchies des limites liées à la fatigue et autres considérations bassement humaines. Quant à la qualité de la relation, notons que les IA sont dotées de facultés langagières et intellectuelles beaucoup plus proches des nôtres que celles que possèdent les animaux. Elles peuvent aussi comprendre les sentiments de leur interlocuteur et leur offrir une rétroaction d’une richesse étonnante. Mais est-ce un leurre? Tout cela n’est-il qu’un substitue appauvrie de la « vraie » vie?
Pour le savoir, encore faudrait-il être en mesure de faire la différence entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Et dans ce domaine, les choses sont tout sauf simples. Lorsqu’un être humain entre en relation avec un robot et qu’il éprouve des sentiments à son égard, sur quelle base nous appuyons-nous pour affirmer qu’il ne s’agit pas d’une vraie relation? En quoi cette relation serait-elle moins vraie que celle qu’entretiennent deux êtres humains? Dans le film de Spike Jonze, une piste explorée est celle de la dualité corps-esprit. Effectivement, puisque Samantha n’a pas de corps, il semble que quelque chose manque dans sa relation avec Theodore.
Mais cette limite est-elle insurmontable? A-t-on vraiment besoin d’un corps pour aimer et être aimé? Mine de rien, cette question préoccupe les philosophes depuis au moins l’Antiquité grecque. Dans Le Banquet, Platon affirme ainsi la supériorité de l’âme sur le corps, et du même coup que la forme la plus élevée de l’amour est celle qui unit deux âmes dans une relation dénuée de toute tension sexuelle. C’est le fameux amour platonique, qui symbolise le détachement à l’égard des passions, et par là même l’élévation de l’humain au-dessus de sa part d’animalité.
Cette conception, largement reprise et véhiculée dans la tradition philosophique occidentale, mais aussi dans le christianisme, s’avère d’une étonnante actualité. Je me surprends même à me demander si l’IA ne serait pas l’avatar de cet idéal platonicien d’un être totalement désincarné et parfaitement rationnel. Je spécule, évidemment, mais si tel devait être éventuellement le cas, nul doute que cela bouleverserait en profondeur notre conception de l’existence et des rapports humains.
Mais pour l’heure, les IA se limitent surtout à n’être que le reflet des êtres humains qui les ont créés. Nous cherchons même, consciemment ou non, à les anthropomorphiser toujours davantage. L’être humain est ainsi fait qu’il déverse constamment ses affects sur tout ce qui l’entoure, que ce soit la nature, les animaux ou les IA. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le développement des IA s’accompagne d’une foule de questions de nature éthique comme celles soulevées par le film de Spike Jonze.
Alors, faut-il s’inquiéter de la proximité toujours grandissante entre les êtres humains et les robots? Chose certaine, l’IA est là pour rester, nous devrons donc apprendre à vivre et à cohabiter avec elle, et ce même jusque dans les recoins les plus intimes de notre existence. À savoir s’il s’agit d’un progrès ou d’une menace, je vous laisse le soin d’y réfléchir.