
Évoquer le « mot en N » permet la discussion
En entrevue téléphonique, le spécialiste du langage et de la communication a utilisé à plusieurs reprises « mot en N » pour les bienfaits de la discussion, mais il préfère que je n’écrive pas ce mot de cinq lettres. « Par respect pour ceux qui se sentent blessés par ce “mot en N’’, ceux pour qui c’est douloureux, je préfère ne pas le dire dans l’espace public. L’évoquer suffit à comprendre. On en parle ; ça permet le débat et la discussion au lieu d’une polarisation », explique M. Fall.
Moment difficile
Ce qu’il faut comprendre dans cette histoire de l’enseignante d’histoire de l’Université d’Ottawa, Verushka Lieutenant-Duval, qui a employé « mot en N » dans le cadre d’un cours en ligne, selon Khadiyatoulah Fall, c’est que c’est un moment difficile pour les étudiants et les professeurs.
« Dans une société démocratique, nous devons avoir la liberté de parole, la liberté de dire, la liberté d’entendre et de porter l’esprit critique. Dans un contexte de formation universitaire, ce ne sont pas seulement les professeurs qui sont porteurs de savoir et d’esprit critique. Les étudiants sont aussi porteurs de savoir et d’esprit critique, et il faut écouter ce qu’ils ont à dire, apprendre de leur sensibilité et de leur expérience », met en relief le professeur de l’UQAC.
« S’il y avait eu une lettre pour appuyer la professeure, je l’aurais signée et s’il y avait une lettre pour appuyer les étudiants, je l’aurais signée aussi. Les deux parties ont à apprendre de cette situation », exprime M. Fall.
Les mots dans leur contexte
« Le “mot en N“, comme la plupart des mots, n’a de sens que dans un contexte. Les mots n’ont de sens que dans la phrase qui les accueille et dans un contexte explicatif », dit-il.
Le « mot en N » est lié à une histoire douloureuse et fait référence à l’esclavage et au colonialisme. Ça évoque une mémoire douloureuse pour certaines personnes dont les souvenirs ne sont pas effacés.
Pour des militants, aux États-Unis, le « mot en N » est à bannir. « Barack Obama, alors qu’il était président a utilisé ce “mot en N’ dans une entrevue radiophonique et s’est fait blaster et critiquer par des militants de la communauté noire dans tout le pays. Il avait dit que s’abstenir de dire “mot en N’’ par politesse ne suffit pas à enrayer le racisme », relate le professeur.
Le « mot en N » n’a pas le même poids émotif dans toutes les langues et dans tous les pays. « Mais les gens qui traitent un homme noir de ce “‘mot en N’’ savent que ça va l’insulter. Il y a eu des événements en Afrique sous la thématique de ce “mot en N’’ et il y en a pour qui ce mot est symbole de force et de courage au lieu d’esclavage. Certains y voient dans ce mot des hommes courageux qui ont traversé l’océan, enchaînés dans les cales de bateau, en trouvant la force de chanter comme ils l’ont fait dans les champs de coton. Mais ce mot crée des tensions », exprime le spécialiste du langage.
Pas de débat dans la polarisation
« Quand il y a des tensions, on ne s’écoute plus, il y a des gens qui se sentent blessés et il y a bousculade au portillon de l’exclusion. Il faut sortir de la langue de bois et de la langue de coton qui anesthésient les idées. Ce “mot en N’’ bloque la parole et crée l’impasse », souligne Khadiyatoulah Fall.
Évoquer ce mot au lieu de le prononcer ou de l’écrire force une ouverture et ça évite de créer des sociétés qui se figent. « L’espace de compromis n’accepte pas le “mot en N’’. La polarisation empêche le dialogue. Il faut se parler en respectant le point de vue de l’autre, en créant un espace de sensibilité. En respectant l’expérience de l’autre, ça crée une ouverture d’esprit », fait valoir le docteur en sciences du langage.
« Malgré les tensions et les frottements des destins, on cherche à construire un commun. Il y a une volonté de rebrasser les cartes ensemble. Il n’y a pas de solution tranchée. Il y a frottement des émotions et ça nous rend conscients qu’il y a des sensibilités différentes et des blessures qui ne sont pas guéries. Il ne faut pas que chacun détienne la vérité ; l’opinion de l’un ne doit pas écraser l’opinion de l’autre », termine le professeur.