Chronique|

Serveur depuis 40 ans Chez Georges

Michel Lavoie, employé du restaurant Chez Georges depuis 40 ans, est entouré des propriétaires du restaurant

CHRONIQUE / Michel Lavoie travaille au restaurant Chez Georges de Chicoutimi depuis 40 ans. Vous y pensez? 40 ans dans le même restaurant; c’est quand même assez rare. Le copropriétaire du restaurant, Jean-François Abraham a résumé la situation ainsi: « Il a fallu que j’achète le restaurant familial de 60 ans pour avoir l’honneur de fêter les 40 ans de carrière d’un de mes employés ».


Il y avait un 5 à 7, le mercredi 17 mai, pour souligner les 40 ans d’ancienneté de ce gentil serveur au tempérament un peu gêné. « Je m’en rappelle encore, il était sept heures moins quart quand j’ai eu mon entrevue. J’ai commencé comme plongeur pour ensuite devenir busboy. Ça a pris huit ans avant que je devienne serveur sur le plancher », m’a-t-il raconté pendant que parents, amis et collègues de travail prenaient le verre de l’amitié.

C’est quand même long, huit ans avant de travailler aux tables? « Oui, mais c’était monsieur Abraham (le Georges) qui était patron et pour lui il fallait des femmes pour servir sur le plancher », relate celui qui a probablement été le premier serveur masculin au restaurant de la rue Racine.



La belle époque

Michel Lavoie a connu l’époque où les clients faisaient la file à l’extérieur, à trois heures du matin, pour manger. « À l’époque, il y avait moins de restaurants en ville, les lois pour l’alcool étaient moins sévères et les gens pouvaient fumer à table », met en relief le serveur de 58 ans.

C’est vrai qu’il y avait moins de restaurants il y a 40 ans à Chicoutimi. Le McDonald’s du boulevard Talbot avait ouvert cinq ans plus tôt en 1978 et il y avait peu de chaînes dans le décor. Aujourd’hui, les chaînes de restaurants ouvrent régulièrement des franchises chaque année, sans compter que les marchés d’alimentation offrent des repas prêts à manger.

Michel Lavoie à gauche a reçu une oeuvre de l'artiste Raynald Simard de la part de son employeur Jean-François Abraham.

Michel Lavoie a vu passer devant lui toute l’évolution de la restauration. « Les cartes de crédit n’étaient pas beaucoup utilisées pour payer les factures à l’époque. Il fallait les passer dans une petite machine et faire “click, click” pour imprimer les reçus », se rappelle-t-il.

Avant, les clients payaient leur facture à la caisse en sortant. Les serveurs ont dû ensuite s’habituer à faire payer les clients à la table et s’adapter à chaque fois aux nouvelles technologies alors que les caisses enregistreuses sont devenues des ordinateurs.



C’est Norma Abraham, la fille de M. Georges, qui a embauché le serveur il y a 40 ans. « Dans ce temps-là, il n’y avait pas de pénurie de main-d’oeuvre. Il était content quand il est devenu serveur après huit années à la plonge et comme busboy. Je lui ai dit: “tu peux aller servir à cette table, papa veut” », se rappelle son ancien employeur, qui était à la fête.

Michel Lavoie espère bien se rendre à 50 ans de carrière. « C’est un employé très dévoué, il n’arrête jamais et travaille même à faire du ménage après ses heures de service. Durant la pandémie, pendant le couvre-feu, il s’est fait arrêter par la police parce qu’il était dans la rue après les heures de fermetures des restaurants. Les policiers sont venus vérifier le lendemain s’il était vraiment resté dans le restaurant pour faire du ménage après les heures d’ouverture », relate Jean-François Abraham, quand il a pris la parole devant les invités lors du 5 à 7.

« C’est Michel qui m’a formé quand j’ai travaillé pour la première fois comme étudiant. C’est lui qui m’a montré le métier de busboy», a raconté le copropriétaire du Georges.

Michel Lavoie espère bien se rendre à 50 ans de carrière.

Encore des révolutions

Sur le cv de Michel Lavoie, on peut lire: emballeur dans une épicerie pendant un an en 1982 et serveur chez Georges depuis 1983. Si on se fie à la tendance, les dix prochaines années ne seront pas faciles dans la restauration. Le service aux tables commence à changer. On voit de plus en plus d’Ordercube, pour demander du service aux tables et même pour payer l’addition.

Ce petit bloc lumineux s’impose comme le nouveau modèle de service pour conter la rareté de la main-d’oeuvre. Avec les menus disponibles en ligne, les clients pourront passer leur commande avant d’arriver à leur table. L’hôtesse qui vous accueille, l’employé qui vient vous servir un verre d’eau, le serveur qui vient prendre votre commande et qui vous apporte vos plats en plus de desservir la table est un modèle qui risque de changer dans l’avenir.

Des employés fidèles et dévoués comme Michel Lavoie valent leur pesant d’or de nos jours et seront de plus en plus rares dans le futur. Célébrer un 40e anniversaire de carrière pour la même entreprise, peu importe le domaine, sera un phénomène rare d’ici quelques années. Michel Lavoie fait partie d’une espèce en voie de disparition. On lui souhaite de se rendre à 50 ans de carrière et ce n’est probablement pas moi qui vais écrire le texte de son cinquantième anniversaire.