Laurence Dugré ne cache pas son mécontentement. Son fils Jules devait recevoir son rappel de vaccins de 18 mois le 22 mai dernier. Or, le rendez-vous a été reporté de plusieurs semaines en raison du manque d’effectifs. Par le biais des médias, au cours des derniers jours, elle a appris que la vaccination des 12-18 mois pourrait être reportée à l’automne en raison de la réorganisation du travail des infirmières, elle ne sait donc pas exactement quand Jules pourra être vacciné.
Laurence sait de quoi elle parle. Lorsqu’elle était en secondaire 2, elle a attrapé une maladie dont le rappel de vaccin était planifié en secondaire 3. Pour elle, ce fut très long de passer par-dessus cet épisode. «Je suis très sensible à l’importance du rappel des vaccins, et dans le cas du vaccin de 18 mois, on ne parle pas de petites maladies. Ce sont des vaccins contre l’hépatite A et B, la rougeole... Ce sont des maladies qui peuvent avoir des conséquences importantes», souligne-t-elle.
À l’automne, son fils aura deux ans. Ce report ne respecterait pas les recommandations de l’INSPQ. Ça, elle le sait. Cherchant une solution, elle s’est tournée vers sa pharmacie pour pouvoir faire administrer le rappel de vaccins. Des démarches de la pharmacie ont toutefois permis de comprendre que tous ces vaccins sont réquisitionnés par le CIUSSS, et qu’il est impossible de les administrer en pharmacie.
«Je comprends la pénurie de personnel et que ça puisse entraîner des bris de services liés à la prévention. Ce qui m’embête là-dedans, c’est qu’il existe d’autres ressources qui pourraient prendre le relais. Des gens compétents qui travaillent en pharmacie et dont l’expertise pourrait être réquisitionnée pour vacciner les enfants. Mais on ne se tourne pas vers cette option-là. C’est un gros manque de leadership à mon avis», convient-elle.
Mardi matin, Laurence a officiellement porté plainte à la commissaire aux plaintes du CIUSSS pour ce bris de services qu’elle estime inexplicable dans l’optique où d’autres professionnels auraient pu aider et prendre le relais. Celle qui a un médecin de famille dans la région de Montréal se tournera ensuite vers cette région pour voir s’il n’y a pas possibilité de faire vacciner Jules à l’extérieur de la Mauricie.
À l’heure actuelle, il est impossible de savoir avec précision à quel niveau les services en vaccination des 12-18 mois seront affectés pour la période estivale. Tout dépendra, d’une journée à l’autre, de la disponibilité du personnel lors de cette période et des besoins dans les autres secteurs, dont les services 24/7 qui sont grandement affectés par la pénurie de main-d’oeuvre, fait savoir Julie Michaud, porte-parole du CIUSSS-MCQ. Pour certains parents ayant partagé leur expérience avec les médias, ça veut dire le report du rendez-vous de plusieurs mois, jusqu’en octobre. Des plages horaires demeurent disponibles dans tous les CLSC du territoire, mais pas au même niveau qu’en dehors de la période estivale. Dès que ce sera possible, certaines plages horaires pourront être ajoutées. «Nos équipes s’assurent de planifier les rendez-vous pour permettre une protection adéquate des enfants», soutient Julie Michaud.
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Or, tous ne le voient pas du même oeil, à commencer par l’Association des pédiatres du Québec.
«C’est un cri du coeur pour les soins à nos enfants qu’on lance». Pour la Dre Marie-Claude Roy, présidente de l’Association des pédiatres du Québec, couper dans les services de prévention aux enfants 0-5 ans devrait être la ligne intouchable, à ne jamais franchir.
Évidemment, en tant que médecin, Mme Roy signale qu’elle est sensible à la réalité du réseau actuellement, et ne remet pas en question la charge incommensurable qui repose sur les épaules des équipes soignantes dans tous les secteurs. «Nous savons que la gestion de tout le réseau de la santé est difficile, et va demeurer difficile dans les prochaines années. Mais le problème, c’est qu’on a tendance à toujours couper dans le préventif, comme si c’était optionnel, alors qu’il faudrait prioriser la prévention», croit-elle.
Les services qui seront atteints par cette modulation décidée par le CIUSSS-MCQ permettent, rappelle Marie-Claude Roy, d’outiller les familles qui en ont le plus besoin. Les bénéfices de ces services ont un impact majeur dans la trajectoire de développement de l’enfant. Que ce soit le soutien dans des situations de négligence, le soutien à l’allaitement, la vaccination 12-18 mois ou encore le programme Abécédaire qui vise à identifier rapidement les problèmes de développement qui se présentent, chaque service donné dans ce secteur permet de mieux outiller les enfants et les familles... et à plus long terme avoir aussi un impact sur les services de santé en brisant des cycles qui peuvent mener vers des besoins en curatif.
Le fait d’espacer le calendrier de vaccination de trois ou quatre mois ne respecte pas ce qui est dicté par l’INSPQ, mais le délai n’est pas assez long pour craindre des foyers d’éclosion importants, assure la pédiatre. Toutefois, ce qui devient préoccupant, c’est le risque de voir des parents ne pas assurer le suivi de la vaccination, puisque la fenêtre recommandée sera passée. «On le sait, comme parent, on a beaucoup de choses à penser. Si cette mesure n’est pas maintenue dans une certaine routine, pour plusieurs ça peut se traduire par la non-vaccination. C’est dans cette découverture vaccinale que nous pourrions connaître des enjeux importants», soutient Marie-Claude Roy.
Par ailleurs, le programme Abécédaire, appliqué lors du rendez-vous du vaccin de 18 mois, permet la détection de différents retards de développement tout en assurant une prise en charge rapide pour éviter des complications. «À 18 mois, c’est un âge crucial dans le développement de l’enfant. C’est là qu’on peut détecter les premiers signes de l’autisme, qu’on constate s’il y a des retards de langage, de développement, du retard à la marche. Tous les enfants ne vont pas en garderie ou en CPE, tous les enfants n’ont pas sur eux cet oeil extérieur qui permet de détecter des retards et de pouvoir intervenir à temps», souligne Marie-Claude Roy.
Rappelons que dans l’optique de la réorganisation des services pour la période estivale, les infirmières du secteur Enfance-famille de Shawinigan ont été convoquées à une réunion de réorientation lundi, réunion à laquelle la majorité d’entre elles ont refusé d’assister dans le contexte tendu qui prévaut actuellement. Résultat: cinq infirmières ont été suspendues une journée, et l’une d’elles a démissionné sur-le-champ.
«Nous devons procéder dans certains secteurs, comme c’est le cas au niveau de la vaccination en CLSC, à des réorganisations et des modulations du nombre de plages horaires disponibles en fonction du personnel disponible. C’est aussi le cas dans d’autres secteurs, pensons aux blocs opératoires par exemple, qui chaque été, ne fonctionnent pas à 100 % pour permettre aux médecins et au personnel de prendre des vacances», fait valoir Julie Michaud.
«La modulation de services permet à des infirmières de venir en renfort à des équipes dans le but de préserver les secteurs critiques, comme les urgences, les soins intensifs, les milieux d’hébergement, la protection de la jeunesse, l’obstétrique, l’oncologie, les chirurgies urgentes et semi-urgentes, les unités de soins pour notre population. Par ailleurs, les infirmières de ces secteurs apprécient grandement le renfort de leurs collègues qui leur permettra également de prendre leurs vacances», ajoute Julie Michaud, qui rappelle que les parents qui auraient des inquiétudes peuvent en tout temps contacter les équipes Périnatalité Petite enfance en CLSC, qui répondront aux questions.
Mme Michaud a par ailleurs mentionné que malgré cette modulation, la couverture vaccinale en Mauricie et au Centre-du-Québec était supérieure que celle de l’ensemble de la province en 2022-2023. Pour les 12 mois, 80% des vaccins étaient faits dans les délais dans la région, contre 74,3% au Québec. En ce qui concerne les 18 mois, 74,3% des vaccins étaient faits dans les délais dans la région, contre 67,6% au Québec.