Deux ans plus tard, elle était déjà trois fois maman. Elle avait le cœur heureux, de l’ouvrage plein les bras, mais l’école ne faisait plus partie de son décor.
« Je voulais cet enfant, et les deux autres qui ont vite suivi. J’étais très jeune, j’avais seulement 18 ans, mais je souhaitais profiter du temps précieux avec mes trois garçons. Je désirais rester à la maison auprès d’eux alors qu’ils étaient petits. Ça, pour moi, c’était très clair. »
Ce qui était très clair, aussi, c’est que les études étaient mises sur la glace pendant ces années-là. Joannie a décroché. Parce qu’elle voulait enraciner sa vie de famille avec Stéphane, son amoureux des 20 dernières années. Celui qui est encore présent auprès d’elle aujourd’hui et qui la regarde avec admiration, quelques minutes avant qu’elle ne se joigne aux milliers d’étudiants de l’Université de Sherbrooke qui ont reçu leur diplôme, samedi, dans le plein stade extérieur de l’institution d’enseignement.
La collation des grades sera chargée d’émotions. « Je me sens fébrile, heureuse, accomplie », me résume la bachelière. Pour elle, pour ses proches, c’est un point culminant. Un moment qui couronne des années de persévérance. Et une cérémonie symbolique qui vient aussi faire un pied de nez à ceux qui lui ont dit qu’avoir un bébé à 16 ans, ça plombait la suite du parcours.
Faire fi du jugement d’autrui
Quand les deux adolescents sont devenus parents une fois, deux fois, et puis trois fois, en tout juste trois ans, ça a créé une petite commotion. Autour d’eux, ça jasait un peu, vous imaginez bien.
« Je me suis sentie jugée. Mes parents m’ont toujours épaulée, mais dans l’entourage et dans la famille élargie, j’ai entendu toutes sortes d’affaires. »
Elle a laissé dire. Sa mère lui avait enseigné à faire fi de ce que pensaient les autres.
Mais n’empêche. Dans sa toge d’universitaire fraîchement diplômée en enseignement professionnel, Joannie est heureuse de faire mentir aujourd’hui tous ceux qui ont pensé qu’elle n’avait pas d’avenir.
La fierté que je lis dans son œil, je l’entends aussi dans sa voix lorsqu’elle me révèle la moyenne avec laquelle elle termine son baccalauréat : 4,25/4,30.
« L’équivalent de 98,7 % », précise Joannie.
À ses côtés, ses parents, Carole et Gaétan, ont le sourire grand.
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« Ils ont été très présents pour moi et pour les enfants. Ils m’ont toujours encouragée. Et pour eux, l’éducation était très importante. Ils ont toujours insisté pour que je retourne terminer mon secondaire. »
Elle l’a fait.
« Quand mes enfants sont tous entrés à l’école, j’y suis retournée moi aussi. »
À 22 ans, elle obtenait son diplôme d’études secondaires. Trois ans plus tard, elle amorçait des études professionnelles en secrétariat. Lorsque des portes se sont ouvertes en enseignement, elle a décidé de faire le pas de plus et de s’inscrire à l’université.
« J’avais toujours étudié dans des parcours enrichis. Au secondaire j’étais en sports-études, en plongeon. Sauf que j’étais souvent la moins bonne des meilleures, je résumerais ça comme ça. J’avais l’impression de pédaler dans le vide. Quand j’ai commencé mes études universitaires à 29 ans, là, tout s’est mis à couler de source. »
Elle était dans son élément. Elle s’est investie à plein. Sans ménager temps et effort.
« J’ai travaillé vraiment fort. Tout le monde me demandait pourquoi je mettais autant d’énergie, parce que personne ne s’attarderait à mes notes. Je répondais toujours que moi, je les verrais. Je faisais ça pour moi. Je voulais m’accomplir. Je l’ai fait. »
Elle continue de le faire. En plus d’obtenir sa permanence d’enseignante en français dans le programme de secrétariat à l’école des métiers de l’informatique, du commerce et de l’administration de Montréal, la finissante sherbrookoise poursuit sa formation.
« J’ai commencé mon diplôme d’études supérieures spécialisées de 2e cycle (DESS) en gestion de l’éducation, la semaine dernière. Je veux devenir directrice. Pour faire partie de la solution, parce que je veux donner de l’amour à nos écoles. »
L’amour, justement, c’est un peu beaucoup la clé. Celui qu’elle porte à ses enfants, à sa famille. Celui dont l’ont entourée ses parents. Cet amour-là qui tisse autour de soi un contexte qui permet de se dépasser.
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Parce que c’est ça qu’elle a fait, Joannie. Se dépasser.
« Je n’ai pas trouvé ça trop difficile, honnêtement. Les enfants étaient autonomes, j’avais de l’aide autour de mes parents, qui ont toujours été là. Mon chum était très présent lui aussi, il me cuisinait des petits plats. Ça aide énormément, de se sentir ainsi appuyée, et de l’être vraiment. »
Les enfants au premier plan
Le cadet des fils de Joannie, Maxime, est venu applaudir sa mère. Il sourit timidement lorsqu’elle me raconte qu’il glissait parfois des petits mots d’encouragement dans sa boîte à lunch. Et qu’il lui achetait des chocolats et du sucre à la crème pour l’encourager, dans les fins de session plus intenses.
« J’ai essayé de lui redonner un peu de tout ce qu’elle nous a offert », explique le jeune homme de 17 ans.
Je remarque qu’il est à peine plus jeune que l’était sa mère, lorsqu’il est né.
« Quand les gens me voyaient avec les garçons, ils pensaient que c’était mes trois petits frères », se souvient Joannie.
Ils sont grands aujourd’hui. « Et ils sont tellement beaux et fins, mes garçons, ils sont ma grande fierté. »
Elle souhaite leur avoir montré par l’exemple que concrétiser ses rêves, c’est possible.
« Il faut travailler, y mettre le temps, se donner la chance de réussir. Mais c’est accessible, changer sa vie. Si on croit en soi et en ses rêves, et si on prend les moyens pour se réaliser. »
Ce message-là, elle le porte aussi dans ses classes de secrétariat, en formation professionnelle.
« La formation professionnelle, c’est souvent la porte de la dernière chance. Et ce n’est pas toujours le premier choix des personnes qui y arrivent. »
L’enseignante me parle des mères monoparentales qu’elle croise. De ces femmes qui ont connu de la violence conjugale. Des immigrantes qui ont des parcours hachurés.
« Toutes ces personnes prennent leur destin en main et c’est très gratifiant de les accompagner. Je trouve ça vraiment enrichissant de côtoyer des gens aussi inspirants. »
Je retiens le mot inspirant, qui me semble coller à son parcours à elle. Et à celui de Jean-Pierre Ayena aussi.
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Le Béninois habite à Sherbrooke depuis un peu plus de deux ans. Avant ça, il a vécu à Genève pendant quelques années. C’est pour poursuivre des études de deuxième cycle en droit qu’il a mis le cap sur le Québec. En pleine pandémie. En plein hiver. En devant laisser derrière lui son épouse et leur toute petite fille de deux semaines.
« C’était un saut dans le vide. J’appréhendais ce que serait ma vie ici et j’avais le cœur déchiré de dire au revoir à ma femme et mon bébé pour longtemps. C’était difficile, vraiment difficile, mais je savais que je faisais ce plongeon pour elles aussi. »
Il y avait du mieux, à l’horizon. Mais partir était douloureux.
À l’adaptation, il fallait ajouter les jours, les semaines, les mois sans les siens.
« Je passais tout mon temps à travailler à la bibliothèque. Le reste du temps, j’étais dans ma chambre des résidences universitaires. »
Sa principale distraction, c’était d’être en contact avec sa famille sur What’sApp.
« J’ai vu ma fille grandir virtuellement, mais je n’ai pas pu la prendre dans mes bras avant un an et demi. »
Dix-huit mois, c’est long.
Jean-Pierre a affronté le temps en se plongeant le nez dans les livres. En s’adaptant peu à peu à son nouveau milieu. En décrochant plusieurs distinctions, dont une bourse d’excellence.
Maintenant qu’il a en poche sa maîtrise en droit international sur la situation juridique des réfugiés climatiques, il est prêt à investir le milieu du travail. Il envisage aussi, éventuellement, de faire un doctorat sous la direction de la professeure Hélène Mayrand. Celle qui a fait la différence, dans son parcours universitaire sherbrookois.
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« Elle m’a beaucoup aidé. Pas seulement en raison de ses qualités de prof, mais parce qu’elle a fait preuve d’humanité, elle a eu la sensibilité de s’intéresser à mon vécu, à ce que je traversais, aux difficultés que je rencontrais. »
Des difficultés qui sont maintenant derrière lui. Depuis l’été 2022, la famille de Jean-Pierre est réunie, enfin.
« On a eu un autre enfant, un petit garçon qui est né en juin dernier. On est en processus d’immigration pour obtenir notre résidence permanente. »
Le mieux que Jean-Pierre entrevoyait à l’horizon, c’est maintenant qu’il se dessine.
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