Chronique|

Santé mentale : déjà 10 ans de pair-aidance

Septembre 1991. Un jeune étudiant de 20 ans de l’Université de Sherbrooke arrive à l’improviste et sans bagage chez ses parents, au Saguenay, après avoir vécu une semaine pour le moins mouvementée. Quel est donc le but de cette visite soudaine en ce début de session, sans s’annoncer ni même apporter une brosse à dents ou quelques vêtements de rechange?


Cela fait environ une semaine qu’il ne mange plus, se rend de force à ses cours et tient des propos difficiles à suivre, au point d’inquiéter ses camarades de classe et même certains professeurs. Au premier regard, le fond de sa pensée semble dérailler: son discours est décousu, dépourvu d’esprit critique et très éloigné du sens commun et des préoccupations courantes de l’étudiant moyen. Dépassés et anxieux, ses parents le conduisent aux urgences dès le lendemain matin.

Le «verdict» tombe rapidement et le psychiatre de garde est formel à ce propos. Selon lui, l’étudiant souffre d’une psychose avec délire et le pronostic est peu réjouissant: «C’est grave, ça peut prendre deux ans!», explique-t-il à des parents déconcertés. Le jeune homme est hospitalisé sur-le-champ et une dose importante d’antipsychotique lui est prescrite. Sa vie prend alors un tout nouveau tournant.

L’ancien étudiant en question est celui-là même qui signe aujourd’hui cette chronique. De tels scénarios sont fréquents dans nos familles et dans la société en général et l’actualité du jour fait ressortir plus que jamais l’importance de parler collectivement des problèmes liés à la santé mentale. Du 1er au 7 mai, on soulignera une fois de plus la Semaine nationale de la santé mentale qui vise à informer et sensibiliser les intervenants et la population quant aux enjeux relatifs à la santé mentale, tout en démystifiant certains aspects réservés jusque-là à la psychiatrie plus traditionnelle.

De l’expérience à l’intervention

La décision de présenter une page d’histoire personnelle en introduction à cette chronique n’est pas anodine. En fait, cette pratique constitue l’essence même d’une profession relativement nouvelle, mais qui célèbre néanmoins ses dix ans d’implantation dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean: les pairs aidants. Il s’agit d’intervenantes et d’intervenants qui ont comme particularité d’avoir reçu, au cours de leur vie, un diagnostic sérieux en santé mentale et qui ont réussi, non sans souffrances ni efforts, à relever le défi du rétablissement. Dans plusieurs cas, il devient presque impossible d’évaluer la fréquence des hospitalisations et des rechutes, sans parler du découragement, de l’ostracisme ou de la stigmatisation… voire de l’autostigmatisation! En effet, à force de parcourir les dédales du système psychiatrique, même pavé de nobles intentions, certaines personnes en viennent à croire qu’elles ne pourront aboutir nulle part et qu’elles sont condamnées.

Ainsi, au même titre que les infirmières, travailleurs sociaux, psychoéducateurs ou éducatrices spécialisées, les pairs aidants évoluent dans les équipes de soutien et de suivi en santé mentale dans le réseau public (CIUSSS) et les organismes communautaires, dont ils relèvent généralement. En plus de témoigner de leur parcours, de leurs souffrances, de leur évolution et surtout de leur rétablissement, ils accompagnent les personnes aux prises avec divers problèmes de santé mentale à travers leur cheminement vers le mieux-être.

Médicaments et contribution du vécu

La société d’aujourd’hui est de mieux en mieux informée sur les réalités entourant la santé mentale. La plupart des gens savent que les personnes vivant avec la schizophrénie, le trouble bipolaire ou la dépression, pour ne nommer que ces problèmes courants, doivent souvent utiliser une médication prescrite par un psychiatre afin de se stabiliser et fonctionner le plus adéquatement possible. Or, bien qu’elle réussisse habituellement à faire disparaître plusieurs symptômes, dont le délire et la psychose, la médication à elle seule ne suffit pas toujours à motiver la personne à se mobiliser et à se mettre en action. Combien de gens ayant connu des problèmes graves de santé mentale, avec ou sans hospitalisation, ont dû interrompre leurs études, n’ont pas pu travailler ou, pire encore, n’ont même pas la force d’adopter une vie citoyenne satisfaisante?

Les pairs aidants et paires aidantes sont bien placés pour comprendre de pareilles situations, car ils sont passés par là au cours de leur vie. Lors de leurs interventions auprès de leurs clients (c’est ainsi qu’on nomme les personnes rencontrées au lieu d’employer le terme «patients»), ils sont dans la meilleure posture qu’on puisse imaginer pour utiliser un «nous» complice et parler en leur propre nom. De plus, ils connaissent bien les effets secondaires associés aux médicaments psychiatriques de même que les ajustements qui s’imposent dans le traitement.

Dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, les pairs aidants et paires aidantes témoignent de leur parcours dans six secteurs allant de La Baie à Roberval en passant par Chicoutimi, Jonquière, Alma et Dolbeau-Mistassini, et ce, depuis dix ans. Dans le contexte actuel, tout indique que ces spécialistes de l’intervention par les pairs conserveront encore longtemps leur place dans le paysage psychosocial de la région et du Québec tout entier à titre de porteuses et porteurs d’espoir!