
Des sculptures qui font de la musique
Fruit d’un partenariat entre Bang et le Centre d’expérimentation musicale, leur séjour prendra fin le 28 février. Elles ont eu le temps de fabriquer plusieurs objets dans l’une des salles d’exposition, désertée temporairement pour cause de pandémie. Les deux possèdent des connaissances en musique, tandis que Chantale Boulianne a étudié le design industriel à l’UQAC. Il arrive aussi que Sara Létourneau mette à profit le bagage acquis en tant que performeuse.
C’est ce qui se passe lorsqu’elle arrime son corps à un 2x4 dont l’autre extrémité se trouve au-dessus d’un caisson de bois posé sur le plancher. Une corde de violoncelle les relie, sur laquelle Chantale Boulianne fait glisser un archet. Le son qu’elle produit, plutôt élégant, varie en fonction de la pression exercée par sa partenaire. « On doit l’améliorer un peu. La partie centrale n’est pas stable », fait observer Sara Létourneau.
Cette démonstration témoigne de l’esprit qui anime le Projet Exuvie. Lorsqu’il sera arrivé à maturité, d’ici 2022, le public sera témoin d’un événement qui ne sera ni un concert, ni une performance, ni une exposition, mais un peu tout ça à la fois. Il y aura de la musique, par exemple, et l’un des centres d’intérêt résidera dans le rapport entre le corps et les instruments avec lesquels il interagira.
« Nous essayons de voir quels sons, quelles musiques, nous pouvons faire avec notre corps », confirme Sara Létourneau. On devine que l’écoute attentive représente une condition de réussite, puisqu’il faut saisir les moindres nuances du son afin de constituer l’équivalent d’une nouvelle gamme. Or, ce n’est qu’une partie du chantier. Il existe d’autres créations qui, elles, obéissent à leur propre logique.

Ainsi en est-il des boules blanches reposant sur le plancher. Aucune n’a la même dimension et leur surface inégale, qui fait penser à celle de la Lune, leur confère des propriétés sonores étonnantes. Il suffit de les faire rouler pour entendre des bruits un peu creux, doucement percussifs. Elles échappent cependant au contrôle des artistes, du moins temporairement, ce qui est aussi le cas des billes que Sara Létourneau laisse tomber sur les lames d’un glockenspiel.
À voir les deux complices passer d’une trouvaille à l’autre afin de montrer le fruit de leurs expérimentations, on sent à quel point ce projet est ludique. On dirait des enfants captivées par un jeu de Meccano, ce qui n’est pas loin de la vérité. Comment, autrement, pourrait-on expliquer l’existence de l’arche placée au milieu de la salle ? Après l’avoir trouvée belle, on s’émerveille en examinant ses composantes. Assemblées différemment, elles forment un cercle.
Le plus beau de l’affaire est qu’il roule pour vrai et que des pièces de bois et de métal fixées à intervalles réguliers génèrent des sons clairs. Leur apparence fait penser aux marteaux présents à l’intérieur d’un piano. Ce sont de petits bijoux d’ingéniosité dont la maternité revient à Chantale Boulianne, qui en a fabriqué une quinzaine. « Nous travaillons beaucoup par improvisation », raconte-t-elle.
Accrochée à l’arche, une feuille d’acier galvanisé redonne aux artistes le contrôle sur les sons. Un petit coup au centre et ça provoque un tremblement sourd, tandis que le frottement d’un archet sur le côté semble annoncer le Jugement dernier. « Ça amène des atmosphères inquiétantes », constate avec justesse Sara Létourneau. On pourrait aussi parler des clous plantés dans une pièce de bois, eux aussi caressés par un archet. Le potentiel est intéressant.

La prochaine étape de cette aventure artistique pourrait se dérouler au cours de l’été. Une autre résidence, peut-être deux, avant de présenter la première performance. « On teste des choses. On en rajoute et on en élimine en cours de route. On doit aussi construire d’autres instruments », précise Chantale Bouliannne. Quant à sa partenaire, elle rappelle qu’ultimement, il y aura la rencontre avec le public.
« On a le goût de lui montrer nos folies », lance Sara Létourneau d’un ton enjoué.