
Blue Story: la mécanique de la violence *** 1/2
Disons-le d’emblée, puisque la comparaison s'avère inévitable : Blue Story rappelle fortement Boyz n the Hood (1991), le film coup de poing de John Singleton. Pas seulement dans la description précise de la guérilla et de la mécanique de la violence, enclenchée par un désir de revanche causé par des rivalités de clans basées sur l’ego, l’aveuglement et la futilité. Mais aussi dans l’antinomie des personnages principaux.
Dans le film de Singleton, Tre, adolescent brillant et prometteur, aspire à des études universitaires alors que son pote Darin s'engage déjà sur une pente glissante. Dans celui de Rapman, Timmy (Stephen Odubola) incarne le jeune homme bien sous tous les rapports alors que Marco (Micheal Ward) se retrouve sous l’emprise de son frère aîné qui en mène large dans le quartier de Peckham. Et ainsi de suite.
Malgré les points communs, Blue Story se démarque en raison de sa touche contemporaine et de son décor londonien. D’autant que Rapman se met lui-même en scène comme narrateur dans le film. Il rappe les transitions entre «chapitres» du récit en regardant la caméra — ce qui fait très Nouvelle Vague, tout comme l’esthétique très crue et en prise sur le réel de son tournage.
Dans ce décor de pauvreté, les jeunes sont laissés à eux-mêmes. Ou presque : seules des mères, celles de Timmy et de Marco, apparaissent parfois, mais aucune figure paternelle à l’horizon.
Par désœuvrement, frustration et volonté de se faire valoir, plusieurs se joignent aux gangs de rue. Pas Timmy. Mais sa mère a décidé de l’envoyer dans une école secondaire de Peckham pour le soustraire à l’influence malsaine de ses amis de Deptford.

Lui et Marco franchissent ainsi les frontières des territoires des gangs qui y règnent. Un jour, ce dernier est battu par des proches de Timmy. Les deux meilleurs amis du monde vont devenir comme Caïn et Abel dans une montée dramatique bien menée jusqu’à sa conclusion logique. Odubola et Ward y sont excellents.
Pacman ne fait pas dans la dentelle dans son conte moral et prend des libertés. Mais sa réalisation nerveuse, avec des inclusions ponctuelles d’images «réelles» de combats, s’avère captivante — on pense aux Misérables de Ladj Ly ou La haine de Kassovitz.. La violence, omniprésente, n’y est pas glorifiée, au contraire. Un bon point.
Pas surprenant que Blue Story ait gagné le prix du film de l’année au gala du New Musical Express (un équivalent britannique du magazine Rolling Stone). Il devient un miroir pour bien des jeunes, surtout ceux issus de l’immigration, qui ont l’impression de s’y reconnaître.
Pour nous, le long métrage agit comme un puissant révélateur du quotidien de ces jeunes à l’horizon bouché qui peinent à entrevoir une autre issue que celle de la culture de la violence gratuite et inutile. Plusieurs y perdent la vie…
Pacman doit — si les choses reviennent à la normale un jour — enchaîner avec le remake d’Un prophète de Jacques Audiard, scénarisé par l’auteur Dennis Lehane (Gone Baby Gone, Mystic River). Bref, un réalisateur prometteur.
Blue Story est disponible, entre autres, sur Apple TV, Vudu, Amazon Prime Video et Google Play
Au générique
Cote : *** 1/2
Titre : Blue Story
Genre : Drame
Réalisateur : Rapman
Acteurs : Stephen Odubola, Micheal Ward, Eric Kofi Abrefa
Durée : 2h00