Marcel Dutil ne mâche pas ses mots

Dans un conteneur complètement hermétique, installé dans une partie de l'usine, deux employés s'affairent au nettoyage de l'acier au sable. Ce travail très physique et difficile sera robotisé après l'agrandissement de l'usine de Canam Ponts à Québec.

« On est des boyscouts en culotte courte. La concurrence arrive de l’Italie, de l’Espagne, de la Chine alors que l’inverse n’est pas possible », dénonce le PDG de Canam Ponts, Marcel Dutil.


D’ici quelques mois, Canam Ponts, une division du Groupe Canam, possédera l’une des usines les plus modernes au monde dans son secteur d’activité.

L’entreprise investit 30 millions $ afin d’agrandir de 33 000 pieds son usine située à Québec. « Nous robotisons le nettoyage de l’acier au sable et la métallisation, C’est un travail très physique et nous avons du mal à trouver du monde », explique Marcel Dutil.

Celui-ci est également le fondateur de Groupe Canam et de Manac. Il préside aussi le conseil d’administration de Groupe Canam, Manac et leurs filiales.

Un employé nettoie la structure d'acier.

À la suite de cette modernisation, la partie manufacturière de l’usine de Laval déménagera à Québec et Shawinigan. Cette décision entraînera le licenciement de 80 personnes à Laval. M. Dutil ne s’inquiète pas pour les pertes d’emploi.

« C’est une décision difficile, mais ils vont facilement trouver du travail. Plusieurs entreprises autour de nous ont besoin de personnel. Et s’ils veulent être transférés à Québec ou Shawinigan, c’est possible », assure M. Dutil, qui s’est rendu à Laval pour rencontrer le personnel.

Selon M. Dutil, le carnet de commande de Canam Ponts est bien rempli pour 2024 et 2025. L’entreprise construit actuellement le pont Gordie-Howe entre Windsor et Détroit. Ce projet d’infrastructure est le plus vaste et le plus ambitieux le long de la frontière entre le Canada et les États-Unis. Celui-ci devrait ouvrir fin 2024.

Un morceau du futur pont Gordie-Howe, prêt à être livré.

La société d’origine beauceronne prendra part également à la construction du nouveau pont de l’Île-aux-Tourtes. Financé entièrement par le gouvernement du Québec, le projet, évalué à 2,3 G$, sera en partie réalisé par des Espagnols.

De l’argent québécois versé à des intérêts étrangers

Le patron de Canam Ponts ne mâche pas ses mots lorsqu’il parle des projets financés par le gouvernement du Québec, mais entrepris par des sociétés étrangères.

« Aux États-Unis, on n’est pas capable de vendre un boulon ou une charpente métallique pour un pont. C’est by America, quand l’argent vient de Washington. »

—  Marcel Dutil

Lors des dernières années, Groupe Canam a participé à l’élaboration de plusieurs projets privés américains, dont des stades et des arénas pour des équipes de ligues majeures. « Au Québec, rien, peste M. Dutil. Pourtant, Canam possède un savoir-faire que peu d’usines en Amérique du Nord possèdent. »

Marcel Dutil est le fondateur de Manac et Groupe Canam.

M. Dutil cite plusieurs exemples de projets subventionnés par le gouvernement, non attribués à des Québécois. « Pour l’agrandissement de Rio Tinto, structure métallique viendra de Chine. Difficile de compétitionner contre les Chinois avec des salaires de 1,5 $ [de l’heure] contre 35 $ ici. Acheter des voitures en Inde pour le REM, quand à La Pocatière ils n’ont pas d’ouvrage, ça fait drôle », énumère-t-il.

Assurer de l’ouvrage aux entreprises québécoises

Concernant le futur pont de l’Île d’Orléans, celui-ci a été dessiné par la firme d’architecture française Lavigne Chéron.

« Le pont est compliqué. Demain matin, ils nous demandent de faire le design, je vous garantis qu’on économise 300 à 400 millions $. Un pont, c’est fait pour traverser. La beauté est secondaire. Des joints soudés au lieu de boulons, il y a juste ceux qui font du kayak en dessous qui vont le voir. »

—  Marcel Dutil

Canam Ponts espère convaincre les maîtres d’œuvre du projet et participer à la construction du pont. Mais la compétition est rude. « Ils ont cogné en Italie et en Espagne. L’Espagne, c’est un beau pays, mais le salaire n’est pas de 35 $, il est de 10-12 euros (environ 15 $) »

Selon Marcel Dutil, contrairement au Québec, de nombreux pays protègent leurs entreprises. « L’acier en France est très contrôlé. Tu penses avoir un contrat le vendredi soir et le lundi, ils appellent pour annuler parce qu’ils ont rencontré des confrères qui ont dit : “tu ne fais pas affaire avec une société étrangère”. On a une participation dans une société française, mais on est tout de même considéré comme des étrangers. »

L'usine de Canam Ponts à Québec compte 367 employés.

M. Dutil aimerait que le gouvernement exige un apport d’entreprises québécoises pour tous les projets qui bénéficient d’une aide financière publique.

« Sur une subvention de trois milliards $ donnée à la future usine de batteries, le gouvernement aurait pu dire que 35 % du contenu devait être Canadien. »

Il rappelle au gouvernement que le premier 20 % de l’argent reçu grâce à un contrat retourne à l’État sous forme d’impôt sur les salaires et les achats.