«Je sais que beaucoup de Canadiennes et Canadiens vivent des moments difficiles ces jours-ci», a noté la ministre des Finances Chrystia Freeland dans le cadre de son énoncé économique.
Son gouvernement aussi vit des moments plus difficiles. Nonobstant les sondages qui placent les conservateurs loin devant dans les intentions de vote, le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau devra conjuguer avec une hausse des revenus au ralenti et des déficits annuels moyens de neuf milliards de plus qu’il ne le prévoyait il y a huit mois à peine.
Les conservateurs demandaient au gouvernement d’annuler les hausses de la taxe carbone et d’équilibrer le budget «pour réduire l’inflation et les taux d’intérêt», mais leurs souhaits n’auront pas été exaucés. Du moins, pas pour l’instant.
«C’est un [énoncé économique] qui ne dépense pas beaucoup et qui semble annoncer éventuellement peut-être une période de rigueur budgétaire», relève la politologue à l’Université d’Ottawa, Geneviève Tellier.
Des déficits plus imposants
L’année dernière, la ministre Freeland évoquait dans son énoncé économique un retour à l’équilibre budgétaire.
Quelques mois plus tard, cette idée était balayée dans le cadre du budget 2023-2024. Aujourd’hui, il est plutôt question de déficits plus imposants qu’anticipés.
«La croissance économique va être un petit peu plus forte que ce qui avait été prévu, mais par contre les entrées d’argent ne seront pas là, donc probablement que le taux de chômage va augmenter aussi. Alors qui va en profiter? Ce n’est pas clair comme message», souligne Mme Tellier.
Ottawa prévoit un déficit de 40 milliards de dollars cette année. Il devrait diminuer quelque peu et faire du surplace pendant deux ans avant d’atteindre les 23,4 milliards en 2026-2027.
D’ici là, le fédéral aura cumulé environ 36 milliards de dollars de plus en déficit budgétaire qu’il ne le prévoyait en mars.
«Notre gouvernement a sorti près de 2,3 millions de Canadiennes et de Canadiens de la pauvreté. L’inflation descend et les salaires augmentent. Et les économistes du secteur privé prévoient maintenant que le Canada évitera la récession post-pandémique que bien des gens avaient prévue», a déclaré Mme Freeland dans son discours aux Communes.
Le chef conservateur est d’un autre avis. Pour Pierre Poilievre, le gouvernement a déposé un «mini-budget» qui se résume à des «prix en hausse», des «loyers en hausse», une «dette en hausse» et des «impôts en hausse».
«L’année prochaine, les Canadiens dépenseront plus d’argent pour rembourser la dette de Trudeau que pour les soins de santé», a dénoncé M. Poilievre.
Les conservateurs ont déjà annoncé qu’ils voteront contre cet énoncé et qu’ils étaient prêts à faire tomber le gouvernement minoritaire.
Le Bloc québécois a pour sa part dit évaluer «les nouvelles annonces à leur mérite, mais dénonce un énoncé déconnecté des besoins urgents des Québécois».
«Justin Trudeau confond la rigueur budgétaire et l’inaction face aux urgences. Les libéraux ne proposent aucune mesure structurante face à la crise du logement et à la hausse fulgurante de l’itinérance», a dénoncé le chef bloquiste Yves-François Blanchet.
Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD) Jagmeet Singh soutient que les libéraux misent sur l’avenir, plutôt que sur le présent.
«Ce ne sont pas les actions nécessaires pour répondre à l’urgence de la crise actuelle», a dit M. Singh, qui ne s’est pas engagé mardi soir à assurer la survie du gouvernement.
Des compressions?
Dans le milieu des affaires, les gestes posés par Ottawa sont insuffisants. Le Conseil canadien des affaires, par l’entremise de son président et chef de la direction Goldy Hyder, a rappelé que «chaque dollar qu’on dépense en intérêt est un dollar qui n’est pas investi dans les Canadiens».
L’analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal (IEDM) Gabriel Giguère va plus loin en parlant d’«une occasion ratée de lutter contre l’inflation».
«Alors que la Banque du Canada a besoin d’un coup de main pour maîtriser l’inflation, le gouvernement Trudeau vient remettre de l’huile sur le feu, a dit M. Giguère. Ultimement, les Canadiens en voient les effets dans les prix élevés qu’ils paient à l’épicerie et dans la hausse rapide des paiements hypothécaires.»
Les frais d’intérêt accumulés de la dette nationale passeront de 35 à 58 milliards sur cinq ans et la ministre Freeland laisse entendre que des compressions pourraient être effectuées dans l’appareil gouvernemental.
D’abord, il y a ces 15,4 milliards de dollars d’économies sur cinq ans dans la fonction publique qu’elle a annoncés au printemps. Le fédéral a demandé à tous les ministères et organismes de se serrer la ceinture, notamment en réduisant leurs dépenses de 3% et en diminuant les dépenses en matière de services professionnels et de consultation.
Aujourd’hui, Ottawa persiste et signe et fixera d’autres cibles de réductions des dépenses de la fonction publique en 2025-2026 de l’ordre de 345,6 millions de dollars et de 691 millions par année par la suite.
N’empêche, avec un budget annuel d’environ 500 milliards, le fédéral ne se lance pas aujourd’hui dans de vastes compressions.
«Le gouvernement est en train de nous dire que si on veut avoir les moyens de nos ambitions et dépenser plus, va falloir qu’on coupe ailleurs.»
— Geneviève Tellier, politologue à l’Université d’Ottawa
Selon le fédéral, ces restrictions budgétaires lui permettront d’épargner 4,8 milliards de dollars par année en 2026-2027 «et de ramener la fonction publique plus près de sa trajectoire de croissance d’avant la pandémie».
Qui plus est, la ministre des Finances a annoncé qu’un examen du «rôle» de la Banque de développement du Canada, d’Exportation et développement Canada et Financement agricole Canada aura lieu dans les prochains mois et que des mesures à leur égard seront annoncées dans le prochain budget annuel.
«Donc, est-ce qu’on va aller jusqu’à la privatisation? Est-ce qu’on va aller à la rigueur, à l’austérité? Dans le prochain budget, on va arriver avec un plan plus stricte», souligne Geneviève Tellier.
Des dépenses ponctuelles ciblées
L’énoncé économique de mardi ne constitue pas un deuxième budget, contrairement à ce qu’on a vu dans les dernières années. La ministre des Finances a fait le point sur les finances publiques et annoncé quelques mesures ponctuelles.
Par exemple, le fédéral supprimera la TPS et la TVH sur les services de psychothérapie et de counseling et propose une nouvelle Charte hypothécaire canadienne pour aider les Canadiens à payer leur hypothèque.
D’ailleurs, le logement est une pierre angulaire de la stratégie du fédéral dans sa lutte contre la hausse du coût de la vie.
Le fédéral a déjà annoncé des milliards pour la construction de nouvelles unités et la conversion de certaines de ses propriétés en espaces résidentiels.
Il imposera désormais de nouvelles obligations aux institutions financières pour qu’elles prolongent de façon temporaire la période d’amortissement pour les détenteurs d’hypothèque à risque et qu’elles donnent aux propriétaires à risque la possibilité de verser des paiements forfaitaires pour éviter un amortissement négatif, notamment.
Puis, dans un contexte de crise dans l’industrie des médias, le gouvernement annonce une bonification du crédit d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique canadienne.
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«Pour les coûts de main-d’œuvre engagés à compter du 1er janvier 2023, le gouvernement fédéral propose d’augmenter le plafond annuel des coûts pouvant être réclamés par un membre du personnel admissible de 55 000 $ à 85 000$, et de faire passer temporairement le taux du crédit d’impôt de 25 % à 35 % pour une période de quatre ans», peut-on lire dans l’énoncé économique.
Si Ottawa donne suite à cet engagement, cela coûtera 129 millions de dollars sur cinq ans au trésor public dès 2024-2025, et 10 millions de dollars par année par la suite.