Musique trop forte et pandémie: une situation explosive

De la musique trop forte au milieu de la nuit et un voisin déjà à bout de patience après deux ans de télétravail font la recette pour de gros ennuis qui risquent parfois de coûter un emploi.


Un courtier en valeurs mobilières l’a échappé belle, lundi matin au Palais de justice de Chicoutimi, en obtenant une absolution inconditionnelle du juge Michel Boudreault.

Le 5 mars 2022, il s’était fait réveiller en pleine nuit par les vibrations du subwoofer dans le sous-sol de la maison de son voisin où le fils adolescent donnait un party. Éméché par sa consommation d’alcool, il a décidé d’aller frapper à la porte, mais voyant qu’il n’obtenait pas de réponse —sans doute en raison de la musique trop forte—, il a décidé d’entrer pour dire sa façon de penser et la discussion a dégénéré jusqu’au moment où il a giflé l’hôte de la soirée et une de ses amies. Le fils du voisin n’a pas porté plainte, mais la jeune fille oui, d’où une accusation de présence illégale dans une maison d‘habitation dans le dessein d’y commettre un acte criminel et une autre de voies de fait.



L’homme qui a plaidé coupable lundi n’avait pas le profil d’un agresseur et son avocate, Arianne Bergeron, demandait au juge Boudreault une absolution inconditionnelle afin de lui éviter un casier judiciaire qui aurait mis en péril son emploi de conseiller financier, puisqu’il doit déclarer tout dossier criminel lors du renouvellement annuel de sa licence. Il proposait, en échange, de faire un don de 1000 $ au Centre d’aide aux victimes d’acte criminel ou de verser un dédommagement de 500 $ à chacune de ses deux victimes, pour souligner de fait que le geste posé était inacceptable.

Celui-ci a expliqué au juge qu’au moment des faits, il vivait des problèmes liés à la pandémie, puisqu’il était confiné en télétravail avec sa conjointe et ses quatre enfants. La patience n’y était plus et l’alcool était devenu une automédication inappropriée qui, de son propre aveu, l’avait entraîné dans une spirale descendante. Il éprouvait des problèmes à la maison, son travail risquait d’en souffrir, et le vase a débordé.

Le juge Michel Boudreault

Il a expliqué au juge Boudreault qu’il avait mesuré la portée de ses gestes le soir même quand il a vu les deux adolescents incrédules devant ce qui venait de leur arriver, et l’a regretté immédiatement, d’autant plus qu’il s’agissait du fils de 17 ans de son voisin avec qui il avait toujours eu une bonne relation. Il était d’ailleurs allé s’excuser dans les jours suivants et avait convenu, avec le jeune, d’un moyen rapide de communication rapide et pacifique si la musique dérangeait à nouveau. Mais l’autre victime a porté plainte et la justice devait suivre son cours.

Entre-temps, il avait consulté, car sa consommation d’alcool était devenue un problème familial et le diagnostic de dépression était venu confirmer ce qu’il n’avait pas vu venir. Depuis, il a intégré des groupes d’aide, prend une médication, et n’a plus touché à une goutte d’alcool.



Il n’en fallait pas plus pour convaincre le juge Boudreault que la mesure exceptionnelle qu’est l’absolution sans condition représentait la peine appropriée.

«Entrer dans une résidence pour se livrer à des voies de fait sur deux personnes mineures est un crime important. Mais pour un moment d’égarement qui a duré quelques secondes, je ne peux pas anéantir les projets d’avenir d’un homme sans histoire père de quatre enfants», a dit le magistrat, en rappelant les critères énoncés par les tribunaux supérieurs : une bonne moralité, présence d’aucun antécédent judiciaire, avoir la conviction qu’aucune condamnation n’est nécessaire pour dissuader l’accusé de recommencer ou de se réhabiliter, et que l’absolution est dans son intérêt véritable.

«Ces gestes irréfléchis ne correspondent pas à votre personnalité; et même si elles ne l’excusent pas, les circonstances qui vous y ont conduit peuvent les expliquer. Et si je refusais l’absolution, les conséquences pour vous et votre famille seraient disproportionnées par rapport aux gestes posés.»

Le juge a estimé que ce geste isolé était attribuable à la consommation d’alcool et l’accusé a pris les moyens nécessaires pour le régler afin que cela ne se reproduise plus: «On peut tomber une fois, mais il faut savoir se relever.»

Afin de s’assurer que l’argent serait bel et bien versé aux deux victimes sans pour cela en faire une condition à l’absolution, ce qui aurait laissé des traces, le tribunal a reporté le prononcé de la sentence à lundi après-midi, le temps de permettre à l’accusé de transférer l’argent, ce qui fut fait pendant la pause du dîner. Le procureur aux poursuites criminelles et pénales, Pier-Alain Lalancette, a alors informé la cour que les victimes étaient surprises et heureuses d’apprendre qu’elles pouvaient toucher cette compensation à laquelle elles ne s’attendaient pas.

Me Arianne Bergeron.