Les responsables des opérations régionales au ministère des Ressources naturelles et Forêts du gouvernement du Québec ont jusqu’à maintenant décrété la fermeture des opérations forestières dans les chantiers d’au moins cinq entreprises. Ces fermetures ont été faites en prévision du déploiement de la Stratégie de rétablissement de l’habitat du caribou forestier qui devait être annoncée à la fin du mois de juin, selon l’entente intervenue avec le gouvernement fédéral.
Selon les informations recueillies par Le Quotidien, les entreprises Chantier Chibougamau, Barrette Chapais, Forestra, Produits forestiers Résolu (PFR) et Waswanipi Misthuk Corp ont reçu, dans les dernières semaines, des directives en lien avec la mise en place de la stratégie caribou. Ces directives vont de l’arrêt complet des opérations à des réductions de superficie dans certaines zones où les permis ont déjà été émis par le Ministère. Dans tous les cas, ce sont des secteurs qui avaient été confirmés dans les garanties d’approvisionnement accordées aux usines de sciage ou aux détenteurs de PRAU (Permis pour la récolte de bois aux fins d’approvisionner une usine de transformation du bois).
Selon Frédérick Verreault de Chantier Chibougamau, il n’y a aucune précision quant à la durée exacte de la directive du gouvernement. «C’est visiblement une mesure préventive en vue du déploiement de la stratégie, mais pour le moment, nous avons suivi la directive du ministère et on est en attente», a insisté M. Verreault.
«Ça représente approximativement les deux tiers du volume que nous devions récolter qui font l’objet de ces mesures préventives. En termes plus précis, ça représente, de ce que l’on comprend, un volume d’approximativement 180 000 mètres cubes de bois pour les détenteurs de garanties d’approvisionnement et de PRAU de notre région. Nous travaillons en ce moment à identifier des solutions pour nous adapter à la situation», a ajouté Frédérick Verreault qui précise que les calculs sont en cours pour chiffrer avec précision le volume que devra remplacer l’entreprise.
Une projection préliminaire permet d’avancer plus ou moins 80 000 mètres cubes de bois à trouver sur le territoire pour Chantier Chibougamau.
La situation sera particulièrement difficile pour l’entreprise crie Waswanipi Mishtuk Corp qui détient des PRAU pour la vente de bois à des scieries. L’entreprise doit d’un seul coup abandonner un secteur où elle devait récolter 60 000 mètres cubes de sa planification estivale sur un volume de 90 000 mètres cubes de bois. Le Ministère a décrété cette fermeture de chantier malgré les garanties des Cris négociées dans la Paix des braves.
«On avait préparé des routes pour la récolte. Tu rentres dans le bois avec la machinerie pour ta saison estivale et quelques jours plus tard, le Ministère te demande de sortir. C’est un gros volume à remplacer à ce moment-ci de l’année. Les gens qui font la planification ne sont pas responsables de la situation. Ils le savaient, mais ne pouvaient pas le dire», a expliqué au Quotidien l’ingénieur forestier Jean-Sébastien Roy qui dirige les opérations terrain de Waswanipi Mishtuk Corp.
Le chapitre 3 de la Paix des braves, qui concerne l’exploitation forestière, a été conçu afin de faciliter l’accès au territoire avec la construction de nombreuses routes utilisées pour les activités traditionnelles de trappe et de chasse à l’orignal. Il s’agit d’une méthode connue sous le nom de la coupe en mosaïque en foresterie. Le contenu de la Paix des braves est en contradiction avec la stratégie préconisée pour la protection du caribou basée sur l’élimination des activités humaines et industrielles dans l’habitat.
Dans le cas de Barrette-Chapais, qui est un joueur important dans la région du Nord du Québec et le troisième détenteur de droit, la directive vise un secteur qui est situé à proximité d’une zone de protection. Le Quotidien n’a pas eu de retour d’appel du patron de l’entreprise Benoît Barrette. Il serait question d’un volume de plus ou moins 50 000 mètres cubes en moins pour Barrette-Chapais.
Au Lac-Saint-Jean, la papetière PFR, qui a procédé à la construction de plusieurs dizaines de kilomètres de route forestière dans une unité d’aménagement, a reçu la même consigne du Ministère dans les derniers jours. L’entreprise devra donc procéder à une modification de sa planification pour assurer l’approvisionnement de ses usines. Au moment d’aller en ligne, Le Quotidien était en attente d’un retour d’appel du service des communications de la papetière. Dans ce dernier cas, il est question de la fermeture d’un secteur évalué à 100 000 mètres cubes de bois résineux.
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La dernière directive connue jusqu’à maintenant a été transmise à la coopérative forestière Forestra de Laterrière. La coopérative devait récolter un volume de 35 000 mètres cubes sur les monts Valin, qui était destiné à la scierie Boisaco de Sacré-Coeur. Le directeur des opérations forestières de Boisaco a confirmé l’information au Quotidien.
«On a remis en fonction notre camp forestier dans le secteur visé par la directive, afin de débuter les opérations avec ce que ça comporte comme dépenses en infrastructures, et on nous demande de suspendre les opérations. Dans ce secteur, notre stratégie était de récolter des volumes limités sur une longue période, alors qu’on aurait pu récolter beaucoup plus intensivement. On doit maintenant trouver des solutions pour remplacer le volume mis en réserve par le Ministère», a conclu André Gilbert.
Le problème, pour toutes les entreprises concernées par la directive ministérielle, est qu’elles ne peuvent pas ouvrir un nouveau secteur sans procéder à une consultation de 60 jours. Tous les travaux, routes, camps et autres infrastructures nécessaires en support aux opérations ont été autorisés il y a un an.
En mode déploiement
Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts est donc en mode de déploiement puisque ces directives entrent en vigueur immédiatement. Le ministère de l’Environnement va quant à lui mener des consultations après le dépôt officiel de la stratégie qui devrait suivre la préconsultation en cours auprès des groupes d’intérêt avec les élus locaux et les communautés autochtones.
Au total, en fonction de ce que Le Quotidien a pu recueillir comme informations jusqu’à maintenant, Québec a gelé des territoires totalisant 315 000 mètres cubes de possibilité forestière, ce qui représente un peu plus d’une scierie de dimension moyenne au Québec. Tous les secteurs ciblés par la directive ministérielle faisaient partie de la planification de la récolte et n’étaient soumis à aucune restriction du Forestier en chef du Québec ou du ministère de l’Environnement.
Il y a quelques semaines, la sous-ministre en titre des Forêts, Lyne Drouin, a communiqué aux représentants de l’industrie les cinq axes d’un programme de compensation que le gouvernement va déployer afin de compenser les impacts de la mise en place de la stratégie caribou.
Le gouvernement mettra donc en place un programme de compensation de la voirie forestière qui devrait normalement rembourser les sommes investies dans les routes qui ont été construites dans la dernière année et qui se trouvent dans les secteurs qui seront soustraits à la récolte. Le second programme financera les coûts additionnels que les entreprises devront débourser pour avoir accès à des volumes de remplacement.
Le ministère envisage déjà que la mise en place de la stratégie va provoquer la fermeture d’usines. Il y aura donc un programme de soutien pour la consolidation des usines de sciage. Finalement, les deux derniers programmes serviront à compenser le secteur de la sylviculture et les ouvriers sylvicoles et en dernier lieu, Québec projette des compensations pour les travailleurs forestiers.
Le Quotidien a logé un appel au bureau de la ministre des Ressources naturelles et de la Forêt, Maïté Blanchette-Vézina afin d’obtenir des explications sur la mise en oeuvre préventive de la stratégie caribou avant le début de la consultation publique qui aura lieu après le dévoilement officiel par le gouvernement du Québec. Le cabinet de la ministre n’a pas retourné nos appels.