C’est quoi?
D’abord, l’hypothèque légale « c’est un droit hypothécaire qui existe et qui est prévu par la loi. Elle passe par-dessus les autres hypothèques conventionnelles », explique l’avocat sénior et expert aux affaires gouvernementales à l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), Marc Bergeron. « Elle couvre la plus-value apportée par les travaux ou les matériaux au bâtiment. » Il donne l’exemple d’un fournisseur qui fournit des fenêtres qui valent 25 000$. « On présume que la maison vaut 25 000$ de plus. »
Tel qu’indiqué dans le Code civil du Québec, l’hypothèque légale « n’est acquise qu’en faveur des architectes, ingénieurs, fournisseurs de matériaux, ouvriers, entrepreneurs ou sous-entrepreneurs, à raison des travaux demandés par le propriétaire de l’immeuble, ou à raison des matériaux ou services qu’ils ont fournis ou préparés pour ces travaux. Elle existe sans qu’il soit nécessaire de la publier. » (article 2726)
Comment ça fonctionne?
« Dans la pratique, si les travaux se font et qu’ils sont payés, ça ne va pas plus loin. Toutefois, dans certains cas, s’il n’est pas payé, l’entrepreneur qui a contracté avec le client pourrait se prévaloir de ce droit à l’hypothèque légale en publiant un avis au registre foncier au plus tard après 30 jours suite aux travaux », mentionne l’avocat.
Il y a également le scénario dans lequel un sous-traitant ou un fournisseur est impliqué. « S’il n’a pas contracté directement avec le propriétaire, mais qu’il a quand même apporté une plus-value parce qu’il a fait des travaux sur le bâtiment et qu’il a dénoncé le contrat au propriétaire avant de commencer ses travaux, il va pouvoir lui aussi bénéficier de l’hypothèque légale de construction. »
Dans la publication Facebook qui avait attiré notre attention, la personne mentionnait qu’une connaissance avait reçu la visite d’un huissier en raison de l’hypothèque légale. Effectivement, Me Bergeron confirme qu’il s’agit de la procédure. « Du moment que l’hypothèque est publiée au registre foncier, elle doit être également signifiée au propriétaire du bâtiment. Pour faire valoir son droit à l’hypothèque légale, il n’a pas le choix d’envoyer un huissier le signifier», clarifie-t-il.
Conséquences?
Plusieurs scénarios peuvent avoir lieu selon les détails de chaque situation. Une fois que l’hypothèque légale est publiée par l’entrepreneur ou le sous-traitant, « il devra, au plus tard six mois après la fin des travaux, publier un préavis d’exercice et à ce moment-là on tombe exactement comme dans un recours où on ne paie pas son hypothèque auprès de la banque», indique l’avocat.
Ultimement, le bâtiment en question pourrait être vendu et la somme des revenus de la vente serait redistribuée.
Une lacune?
L’Association des consommateurs pour la qualité dans la construction (ACQC) dénonce la réglementation actuelle entourant l’hypothèque légale et réclame un changement lorsque les travaux sont de l’ordre des petites créances. Le directeur général de l’ACQC Marc-André Harnois explique que la problématique est que peu importe la valeur des travaux, le dossier est directement envoyé à la Cour du Québec ou à la Cour supérieure.
« C’est dans ces contextes-là que l’on dénonce. Aussitôt que la créance est de moins de 15 000$, on prend un dossier qui normalement serait allé à la Cour des petites créances et on l’envoie en Cour supérieure, mais là ce n’est pas les mêmes coûts pour se défendre pour le consommateur. Ça lui coûte un avocat et c’est beaucoup plus de démarches s’il doit se défendre en Cour supérieure qu’en Cour des petites créances », observe-t-il.
En 2021, l’ACQC avait publié le document Analyse des données sur l’hypothèque légale de la construction et les résultats concordaient avec ce qu’elle dénonçait. Parmi les données recueillies entre janvier 2015 et février 2020, on constate qu’environ 3000 hypothèques légales sont publiées chaque année. Dans la période ciblée, 26% des hypothèques légales ont été publiées pour des montants de 15 000$ et moins. En ne comptant que le secteur des consommateurs, on indique que c’est 42 % des hypothèques légales qui sont inscrites pour un montant de 15 000 $ et moins.
Dans ces cas, il soutient que certains entrepreneurs peuvent profiter de cette lacune en défaveur des propriétaires.
« Imaginons que vous engagez un entrepreneur qui vient travailler chez vous et que vous vous rendez compte, à la fin des travaux, qu’il y a des choses qui ont mal été faites. L’entrepreneur veut se faire payer, mais vous ne voulez pas payer la totalité, car il reste des choses à corriger, puis il vous dit que si vous ne payez pas il va mettre l’hypothèque légale. Tu te retrouves alors avec un litige qui aurait pu se régler à la Cour des petites créances, mais il y a une hypothèque légale sur la maison. Il faudra donc aller à la Cour supérieure pour la faire radier. L’entrepreneur va se servir de ça pour se faire payer, qu’il ait raison ou pas, parce que ce que faire appel à un avocat va être en général plus coûteux que ce que lui te réclame », révèle M. Harnois.
Le directeur général de l’ACQC attend toujours que des changements soient mis en place afin de s’assurer que les propriétaires ne se retrouvent pas coincés avec ce qu’il appelle un entrepreneur « de mauvaise foi », mais que les entrepreneurs « de bonne foi » se fassent payer. « Le ministère de la Justice a un beau casse-tête », estime ce dernier.