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Déficience intellectuelle: une épée de Damoclès pour une ressource de Trois-Rivières

Lucie Duval, propriétaire de la résidence le Camélia, en compagnie de Charlotte qui réside dans cette ressource depuis deux ans. Ils sont accompagnés de plusieurs résidents et employés du Camélia, qui craignent aujourd'hui pour la survie de l'organisme.

CHRONIQUE / En pleine Semaine québécoise de la déficience intellectuelle, une résidence de Trois-Rivières qui accueille une vingtaine d’adultes vivant avec une déficience intellectuelle se bat pour sa survie, depuis que les heures de services octroyées par le CIUSSS MCQ auraient été diminuées pour plusieurs d’entre eux. D’ici quelques semaines, si rien ne change, il faudra se résoudre à fermer la ressource et relocaliser tous ces résidents, ce que dénoncent vigoureusement leurs familles et les employés de la résidence.


La Résidence le Camélia a vu le jour il y a une quinzaine d’années, lorsque la Trifluvienne Lucie Duval souhaitait trouver une ressource optimale pour sa fille, Camélia, qui vit avec une déficience intellectuelle. Celle qui avait siégé sur plusieurs ressources et conseils d’administration oeuvrant dans les services pour les gens dans la condition de sa fille n’avait jamais réussi à trouver cet endroit où elle se sentirait parfaitement à l’aise de loger sa fille une fois l’âge adulte atteint.

Cette ressource, elle l’a fondée. Situé sur le boulevard Rigaud, le Camélia accueille une vingtaine de résidents, âgés entre 19 ans et 70 ans, dans deux installations, l’une étant davantage un milieu familial et l’autre, des appartements supervisés avec services. À l’époque, à trois reprises, Mme Duval avait tenté d’obtenir son accréditation de la part du CIUSSS MCQ, sans succès. Elle a finalement opéré au privé. La ressource est présentement en transition vers un nouveau modèle de coopérative de solidarité, ce qui permettrait qu’elle continue d’être dirigée par les employés lorsque Mme Duval décidera de prendre sa retraite.



Chaque mois, les résidents paient leur loyer à la ressource, et peuvent aussi recevoir des services adaptés à leurs besoins grâce à un programme appelé Chèque emploi-service (CES), octroyé pour l’aide à domicile à laquelle les personnes vivant avec une déficience intellectuelle ont droit. Grâce à cette aide, la ressource a pu embaucher neuf personnes à temps plein pour fournir une multitude de services, allant des soins d’hygiène, soins personnels, supervision, sécurité lors de leurs déplacements vers l’école ou les plateaux de travail, etc.

Jusqu’à la fin 2022, les employés et la direction de la résidence fournissaient eux-mêmes la description des soins et services requis pour chaque résident, un formulaire nécessaire à l’octroi du CES par le CIUSSS MCQ. Or, voilà qu’il y a quelques mois, Lucie Duval a appris que c’était plutôt les familles des résidents qui devaient remplir cette paperasse. Des familles qui ne partagent pas autant que ces employés le quotidien des résidents. Des parents qui, bien souvent, sont très avancés en âge. Qui ne sont pas nécessairement en mesure d’évaluer la condition réelle et les besoins de la personne.

Étonnamment, depuis que cette procédure a été mise en place, la majorité des résidents aurait vu les soins être revus à la baisse. On aurait expliqué à Mme Duval que ce sont les familles qui auraient demandé des diminutions de services, allant des fois jusqu’à 10 heures de moins par usager par semaine.

«Le CIUSSS dit qu’ils ont rencontré les familles séparément pour leur expliquer la nouvelle procédure. Nous, ce que des familles nous disent, c’est qu’elles n’ont pas été rencontrées. Il y a des formulaires qui se sont retrouvés à la poubelle parce que les gens ne savaient pas quoi faire avec ça. D’autres formulaires qui ont été envoyés en retard. On a demandé au CIUSSS de venir nous rencontrer et de faire une réunion avec l’ensemble des familles pour expliquer la démarche. Ils ont refusé», soutient Lucie Duval, qui précise par ailleurs que trois usagers sous curatelle publique ne reçoivent plus ce à quoi ils auraient droit.



J’ai pu m’entretenir avec plusieurs familles de résidents qui confirment ne jamais avoir cautionné une baisse de services pour leur proche.

C’est le cas d’Antoine Durand, dont la fille Charlotte, 19 ans, habite le Camélia depuis deux ans. Semi-voyante et atteinte du syndrome De Morsier, la jeune femme a aussi une paralysie à 50% du côté droit de son corps. On avait évalué ses besoins à 24 heures de services par semaine, avec des attestations de médecins et même des documents du gouvernement indiquant qu’il était primordial de lui offrir de la supervision pour qu’elle fasse de l’exercice. Selon M. Bertrand, le CIUSSS aurait balayé le tout du revers de la main, retranchant 10 heures de services par semaine pour sa fille.

«On nous a même accusés de frauder le système, de voler du temps. On ne nous donne aucun service et en plus, on nous coupe ce à quoi on a droit. J’aimerais bien voir ça, moi, le papier où j’ai signé pour faire baisser les heures de services à ma fille. Tout ça s’est fait sans notre consentement», évoque le papa.

Même son de cloche pour Sylvie Laguë, dont la fille Isadora, 27 ans, s’est aussi fait retrancher des heures de services, elle qui souffre d’une déficience intellectuelle moyenne avec dysphasie. «Tout est toujours en fonction des grilles, de caser quelque part. La notion de l’humain derrière ça, on n’en tient pas compte. Il faudrait lâcher les grilles de temps en temps et se préoccuper des véritables besoins des usagers», croit la maman.

Chantal Tourigny, pour sa part, s’inquiète de savoir qu’au terme de l’exercice, la ressource qui héberge son frère François pourrait fermer ses portes. L’homme a habité toute sa vie avec ses parents, jusqu’au décès de sa mère en 2015. Maintenant âgé dans la soixantaine, changer de milieu de vie serait un facteur de stress très important pour lui. «C’est une ressource exceptionnelle, et les gens qui prennent ces décisions-là en ce moment n’ont clairement aucune idée de ce qu’on y fait, de comment les gens vivent et de ce dont ils ont besoin. N’y aurait-il pas moyen de travailler en concertation et en respect avec ces personnes», se demande Mme Tourigny.

Isabelle Breton est maman de Marion, qui a 27 ans et qui vit avec la trisomie 21. Depuis un mois, elle peut bénéficier du CES pour 14,5 heures de services par semaine, ce qui à son avis est suffisant pour les besoins de Marion. Toutefois, elle constate à quel point il est difficile d’obtenir des informations de la part du CIUSSS MCQ sur la situation actuelle, ce qui ne rassure en rien sa famille.



«Nous n’avons jamais été rencontrés par le CIUSSS pour savoir si nous étions satisfaits, mais nous le sommes. Notre fille est super heureuse, elle s’épanouit, ses besoins sont comblés et notre besoin de sécurité comme parents l’est aussi. S’il fallait que ça ferme, pour ma fille, c’est la dépression qui l’attend. On perdrait un allié de taille dans l’accompagnement de notre fille», considère-t-elle.

Des lettres envoyées au CIUSSS par des familles m’ont également été partagées. Des lettres dans lesquelles les familles demandent à ce que le niveau de soins donnés à leur proche ne soit pas revu à la baisse, puisqu’il serait irréaliste de ne plus leur fournir ces soins sans atteindre directement leur intégrité physique et leur santé. Ces lettres n’ont pas eu de retour.

En raison de cette baisse du financement des services, la ressource a dû mettre à pied quatre employés depuis cet hiver. Des neuf personnes, ils ne sont plus que cinq à fournir les services aux résidents toujours logés à cet endroit. Depuis la fin du mois de décembre, Lucie Duval a déboursé pas moins de 30 000$ de ses propres économies pour que les services se poursuivent, dans l’espoir qu’un dénouement survienne rapidement. Mais elle ne pourra pas avancer cet argent éternellement.

«Si cette ressource-là ferme, pour nous et pour Charlotte c’est la fin du monde. Jamais on ne va retrouver une ressource comme celle-là. On va faire quoi? Essayer de replacer tous ces résidents dans le secteur public? Je peux vous dire que c’est impossible, il n’y a pas de place. Et même s’il y en avait, avez-vous une idée de combien ça coûte au public de placer ces personnes-là? Une fortune! Il n’y a aucune logique là-dedans», ajoute Antoine Durand.

Au CIUSSS-MCQ, on précise que les procédures n'ont pas changé, que les évaluations se font toujours avec l'usager et son représentant légal.

CIUSSS MCQ

Au CIUSSS MCQ, on explique être au fait de la situation, et que la propriétaire des lieux a été rencontrée pour lui expliquer le fonctionnement du programme du CES. «Il n’y a eu aucun changement au programme, qui suit les normes et exigences du ministère», précise Julie Michaud, porte-parole du CIUSSS MCQ. Selon elle, une évaluation des besoins de l’usager se fait chaque année avec l’usager et son représentant légal, bien souvent un proche. «La condition d’une personne peut évoluer dans le temps», ajoute-t-elle, précisant que le formulaire d’évaluation doit être rempli à chaque deux semaines, et que ces documents doivent être remplis dans les délais pour s’assurer du paiement des heures au bon moment.

La version de l’établissement diffère cependant de celle des familles quant aux diminutions des heures de services. Selon Mme Michaud, les dossiers ne font pas état de diminutions aussi importantes que ce que les parents affirment. On assure cependant qu’on fera un suivi personnalisé auprès d’eux pour s’assurer que les procédures soient bien comprises. «En tout temps, si l’usager ou son représentant ont des difficultés ou des questions, ils peuvent se référer avec leur intervenant pivot qui est disponible pour leur répondre et les aider. Je les invite à communiquer avec nous», souligne-t-elle.

La propriétaire de l’établissement Lucie Duval a pour sa part interpellé le ministre Lionel Carmant, mais n’a pas encore eu de retour de son bureau. Elle a également interpellé le ministre et député de Trois-Rivières Jean Boulet, de même que sa conseillère municipale Pascale Albernhe-Lahaie. Lucie Duval espère que son cri du coeur sera entendu.

«Ce sont des êtres humains qui habitent ici, et qui méritent qu’on prenne soin d’eux avec dignité et respect. On y met tout notre coeur, et on se bute à de l’administratif, des chiffres. On va se battre pour que nos usagers puissent continuer d’être ici et de recevoir ce à quoi ils ont droit», lance Lucie Duval.