Jusqu’à 30% des examens médicaux seraient inutiles

Les services de laboratoires coûtent plus d'un milliard par année au gouvernement du Québec.

Entre 25 et 30% des examens médicaux effectués au Québec seraient inutiles, étant prescrits par «peur de manquer quelque chose» ou simplement pour «rassurer le patient».


Ces données inquiétantes proviennent de l’Association des radiologistes du Québec, mais aussi de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) et de la campagne Choisir avec soin, qui agit comme porte-parole national pour la réduction des examens et des traitements inutiles en santé.

«Nos médecins ont beaucoup de mal à vivre avec l’incertitude. Et les patients aussi», constate la Dre Guylène Thériault, coresponsable des soins primaires chez Choisir avec soin et elle-même médecin de famille à Gatineau.

«C’est un enjeu sociétal, poursuit-elle. On surutilise nos tests et nos traitements, ce qui fait qu’on les sous-utilise pour les gens qui en ont vraiment besoin.»

Cela contribue à faire gonfler les listes d’attente. Et la facture. Les services de radiologie et de laboratoires (analyses de sang, d’urine et de tests de la COVID-19, entre autres) représentent à eux seuls près de 4% du budget annuel de 47 milliards alloué à la santé et aux services sociaux au Québec.

Sans compter que les patients ne subissent pas toujours leurs examens dans un ordre cohérent avec l’urgence de leur situation.

«Ma patiente qui a un cancer et qui a besoin de passer un examen très rapidement doit lutter sur la liste d’attente avec des patients qui ont mal au dos, dont les requêtes ne sont pas urgentes ou qui sont tout simplement inutiles», illustre la Dre Guylène Thériault.

La Dre Guylène Thériault estime que les médecins surutilisent nos tests et nos traitements.

Selon l’Association des radiologistes du Québec, 25% des examens réalisés en imagerie médicale sont inutiles. Ces constats correspondent d’assez près à celles de l’ICIS et du mouvement Choisir avec soin, pour qui jusqu’à 30% des examens au Canada étaient inutiles en 2017. «C’est énorme!» estime la porte-parole.

La situation s’est améliorée depuis 5 ans. Le taux de surutilisation de huit des 12 examens et traitements «à faible valeur» ciblés par Choisir avec soin et l’ICIS a diminué d’au moins 10 %. Au pays, cela représente 115 000 radiographies, tomodensitométries (scans) et imageries par résonance magnétique (IRM) en moins.

«Il y a encore place à l’amélioration.»

—  Dre Guylène Thériault

La présidente de l’Association des médecins radiologistes, la Dre Magalie Dubé, croit aussi qu’on effectue trop d’examens. Mais elle nuance: l’équilibre entre ce qui est «utile et inutile» demeure fragile.

«Je sais que les médecins de famille ont de la pression aussi, dit-elle. On le voit par exemple avec les échographies de surface. Le patient se palpe, trouve une bosse sur sa main. Il va voir son médecin de famille, qui le rassure parce qu’il ne voit rien d’inquiétant. Mais le patient n’est toujours pas rassuré. Le médecin sait que s’il en reste là, son patient va rester inquiet. Alors le médecin l’envoie passer une échographie qui est tout à fait normale.»

Cet examen était-il utile? D’un point de vue du diagnostic, la plupart des médecins diront que non. Mais du point de vue du patient, l’examen a fort probablement été utile, souligne aussi le Dr Sylvain Dion, vice-président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) et médecin de famille au groupe de médecine familiale (GMF) de Lac-Etchemin.

Les échographies de surface seraient souvent utilisées pour rassurer les patients, notamment dans le cas de lésions de la peau.

«La bosse est sans doute un lipome, c’est bénin. Mais si on a un patient anxieux ou si le patient connait quelqu’un qui a déjà eu une bosse qui était cancéreuse, c’est souvent impossible que j’arrive à le rassurer complètement, même si je prends le temps de le faire – et les médecins de famille doivent prendre le temps nécessaire. Alors l’échographie va rassurer mon patient, et ça, c’est utile», précise-t-il.

«Je suis quand même un peu heurté quand j’entends que les médecins envoient des requêtes inutiles, parce qu’on a nos limites dans nos connaissances et aussi des limites pour rassurer nos patients», ajoute-t-il.

Des avancées, pour le meilleur et pour le pire

Dans le milieu médical, la réflexion sur les examens inutiles est amorcée. «Les connaissances ont avancé et nos pratiques se sont améliorées», constate le Dr Sylvain Dion.

«Il y a 20 ans, les patients venaient souvent me voir pour un check-up, dit-il. Ils sortaient avec une feuille d’analyses sanguines avec plein de petites cases cochées. On allait à la pêche aux résultats anormaux, alors que le patient allait bien. Aujourd’hui, si je vois un patient en bonne santé de 60 ans, il sortira avec trois prescriptions seulement: des analyses pour le diabète et le cholestérol et un dépistage du cancer colorectal.»

Dans d’autres domaines, la progression de la science a plutôt provoqué une augmentation notable du nombre d’examens pratiqués, notamment en prévention. Les nombreux suivis et examens durant la grossesse en sont un exemple.

Plusieurs solutions sont en chantier. D’abord, médecins et patients doivent prendre conscience qu’ils consomment trop de tests.

La littérature scientifique montre que les examens radiologiques sont inutiles en l’absence de certains signes alarmants déjà déterminés.

«Et vous savez quoi? Les patients sont réceptifs à ça. En 26 ans, jamais je n’ai été mal reçue quand j’ai parlé des effets secondaires, des risques et des bénéfices des examens et des traitements», assure la Dre Guylène Thériault.

Les médecins aussi doivent réfléchir avant de sortir leur feuille de prescription. «En médecine, on a rarement le réflexe de se dire: comment je peux faire moins? Le hic, c’est que ces questions-là ne s’enseignent pas dans les programmes universitaires. Il faut que ça change», souligne la Dre Guylène Thériault.

Des solutions

L’Institut de la pertinence des actes médicaux (IPAM) est un organisme indépendant créé en 2020 à la suite des négociations entre Québec et la Fédération des médecins spécialistes (FMSQ). En trois ans, il a déjà réussi à amener plusieurs changements. D’autres seront annoncés bientôt.

Un exemple? En avril 2021, les codes de facturation des pédiatres pour les «examens généraux» ont été abolis. Non, ce n’est pas qu’un code: c’est un changement de pratique majeur pour les pédiatres qui avaient une clientèle d’enfants à charge, à la façon des médecins de famille.

Les enfants en bonne santé doivent maintenant être suivis par des médecins de famille et non plus par les pédiatres.

«Les pédiatres doivent maintenant se consacrer à évaluer les enfants qui ont des problèmes de santé chroniques, particuliers ou complexes, et les enfants en bonne santé doivent être suivis par des médecins de famille», explique le directeur général de l’IPAM, Jean-François Foisy.

Il compare son organisme à «une sorte de terrain neutre» pour discuter. «Et comme notre équipe est très expérimentée et connait bien le réseau de la santé, ça nous permet d’avoir des conversations très out of the box et de trouver des idées nouvelles.»