L’une des conséquences les plus absurdes tient au fait qu’Alma, la ville la plus populeuse du Lac-Saint-Jean, cessera d’en faire partie. Du moins aux yeux d’Ottawa. Elle qui vit en symbiose avec les municipalités situées dans son environnement immédiat, qu’on pense à celles du secteur Sud ou à Saint-Nazaire et Saint-Henri-de-Taillon dans la direction opposée, sera représentée par un élu différent à la Chambre des communes.
[ Jonquière redeviendra Jonquière-Alma ]
Pour faire avaler cette pilule amère, la Commission affirme qu’elle a renoncé à suivre sa première idée, soit de transférer dans le comté Jonquière 11 municipalités et territoires enracinés dans les MRC de Lac-Saint-Jean-Est et de Maria-Chapdelaine. « Les opposants soutenaient que les gens du Lac-Saint-Jean et ceux de Jonquière appartiennent à deux communautés d’intérêts différents, difficilement réconciliables », est-il écrit dans le document de la Commission jumelé à la nouvelle carte.
Ce n’était cependant qu’un recul stratégique. Comme elle-même le souligne, il existait un large consensus dans la région en faveur du statu quo. Or, à ses yeux, le maintien des circonscriptions actuelles ne répond pas à ses critères. « Il n’est pas souhaitable que la circonscription la plus peuplée soit celle où la population est la plus dispersée (Lac-Saint-Jean), alors que les deux circonscriptions plus urbanisées comptent moins d’habitants », énoncent les auteurs du document sans expliquer pourquoi ce serait si grave.
Ils ajoutent que le scénario retenu a été soumis par un seul intervenant, en omettant de dire lequel. C’est bien la preuve qu’au moment de préparer leur proposition, ils cherchaient moins les avis consensuels que celui, si marginal soit-il, qui correspondait à leur recherche obsessive de nombres équivalents. Comme dans une boîte d’oeufs, les comtés de Jonquière-Alma (91 792 citoyens), Lac-Saint-Jean (92 278 citoyens) et Chicoutimi-Le Fjord (91 482 habitants) « fitteront » ainsi dans leur petite case.
D’emblée, les députés bloquistes Alexis Brunelle-Duceppe et Mario Simard se sont opposés à la nouvelle carte, arguant qu’elle n’a fait l’objet d’aucune consultation dans le milieu. La mairesse d’Alma, Sylvie Beaumont, n’en pense pas plus de bien, tandis que Richard Martel, député conservateur de Chicoutimi-Le Fjord, juge la proposition acceptable. Pour donner du poids à cette opinion, il note que l’ancien député Jean-Pierre Blackburn était content de servir les électeurs d’Alma et Jonquière.
On le croit sans peine, puisque ce vétéran de la politique ne rechignait pas à l’ouvrage. On lui aurait donné l’Ungava qu’il se serait arrangé pour que ça fonctionne, mais là n’est pas la question. Le plus important n’est pas de confectionner des cartes qui plaisent aux députés, bien qu’ils aient raison d’exprimer leur avis. Ce qui doit primer, et ce, bien au-delà des chiffres, c’est que chaque circonscription corresponde le mieux possible à la réalité sociologique, géographique et historique du territoire desservi.
C’est pour cette raison qu’amputer le Lac-Saint-Jean d’Alma représente davantage qu’un ajustement administratif. Les bons députés ne sont pas que des machines à voter. Ils reflètent la manière d’être et de penser de leur milieu, d’où l’importance de former des comtés cohérents, ce que ne sera pas Jonquière-Alma. Il s’agit d’un bricolage fait par des individus pour qui les communautés locales constituent, au mieux, des abstractions. Des points sur une carte qu’ils déplacent avec la même légèreté que le font les joueurs de Risk avec leurs armées.