Chronique|

Une nanobrasserie dans les montagnes

Le brasseur Chris Gillard

CHRONIQUE / Ce lundi 30 janvier se tenait une conférence organisée par le Bistro Vices et Versa dans le cadre de son 19e anniversaire. Devant une assemblée attentive, principalement composée de brasseurs, Chris Gillard a présenté sa Fermenterie des Champs Marmo. Un véritable coup de cœur dans la salle.


Je connais Chris depuis de nombreuses années; il est devenu un ami à force de partager quelques grandes cuvées brassicoles dans le monde entier, de juger dans des concours ou de participer à des festivals. Chris a un sens de la dégustation plein de candeur, qui laisse aux arômes les plus discrets le soin de se faire découvrir, au gré de la dégustation. Un dégustateur comme on en croise peu, qui a très souvent le mot juste et un esprit d’analyse le plus neutre possible.

Chris est aussi le fondateur de la plus connue des caves à bière de Belgique située à Arlon, Mi-Orge Mi-Houblon. Après de très longues années à vendre, consulter et juger de la bière, il déménage à Seytroux en Haute-Savoie française et décide de créer sa nanobrasserie, la Fermenterie des Champs Marmo.

Amateurs de montagne, de randonnée et de grand air, lui et sa petite famille profitent de ce petit village de 520 habitants coincé entre 700 et 1800 mètres d’altitude. Le voilà de l’autre côté de la barrière… à produire des bières.



Et pas n’importe quelle bière, la philosophie de la brasserie étant de produire peu, très peu, parfois 60 litres de bières à la fois, et d’offrir un environnement propice au développement de la fermentation et de l’affinage des bières.

Il utilise des ingrédients récoltés à la main dans les montagnes avoisinantes, comme cette très agréable bière crue — sans ébullition — infusée aux fleurs d’achillée du nom de Gjaerkauk. L’équilibre entre la fleur et le sucre de la céréale crée une très intéressante harmonie, d’autant plus que de le faire sur une base de bière crue n’est pas si simple.

L’effet des levures en pleine action dans les barriques.

Ou comme cette Demoiselle de Haute-Savoie, où la petite prune très sucrée rencontre une bière de type saison en affinage de barrique. On y retrouve le nez typique de la prune bien mûre, mais on est bien loin des bières sucrées et aromatisées. Si vous aimez les bières « sauvages », vous serez ravis.

Mention spéciale également à la bière La Chèvre, brassée avec du petit lait de chèvre, créant l’acidification naturelle du moût avant fermentation sur des levures de saison. J’ai goûté à une version d’été et à une version d’hiver, et ce n’est pas que dans le fromage que la composition du lait vient influencer les arômes. Une bière au petit lait de chèvre, vous m’avez bien lu!

On rencontre quelques notes aromatiques légèrement caprines sur une présence de levure assez marquée, mais c’est en rétro-olfaction que la magie opère avec ces notes légèrement caprines, nous invitant à partager un fromage de chèvre frais en guise d’accord.

Des cuvées spéciales, Chris en a beaucoup. Quand on brasse en cuve de 60 litres, l’imagination n’a plus de limite, mais attention, pas question de brasser n’importe quoi. Chaque bière cache un processus de réflexion en lien avec les arômes et les goûts recherchés.



Des bières de nanobrasserie au Québec ?

Impossible de se procurer les bières de la Fermenterie au Québec, car la production est tellement petite qu’elle demeure principalement exclusive à la vente sur place ou au restaurant gastronomique du village. Est-ce que le Québec pourrait profiter de ces très petites brasseries issues du savoir-faire et de l’imagination d’une seule personne dans ses campagnes ou montagnes ? Les lois et règlements actuels étant beaucoup plus restrictifs, l’opération n’est pas impossible, mais périlleuse.

Si le processus d’obtention du permis de brassage artisanal était beaucoup plus simple, on aurait définitivement accès à des nanobrasseries qui présenteraient quelques produits, uniquement disponibles sur place. Des gens passionnés qui récolteraient des ingrédients pour nous offrir le fruit de leur travail, en petite cuvée bien fermentée.

Certes, plusieurs microbrasseries offrent des bières aromatisées aux épices boréales, aux fruits du Québec et j’en passe, mais la notion de nanobrasseur artisan est loin des nombreux hectolitres brassés, vu les installations nécessaires à l’obtention du permis. Saviez-vous que le brasseur amateur ne peut faire goûter sa bière à l’extérieur du domicile où il l’a produit ? Un cadre réglementaire qui protège de la vente « illégale » de bières « maison ». 

Pourtant, des « Chris Gillard » au Québec, on doit bien en avoir quelques-uns…