Des proprios profitent de la vulnérabilité des étudiants internationaux

Environ le tiers des étudiants qui fréquentent l’UQAC proviennent d’un autre pays. Ils doivent tous se trouver un logement à leur arrivée et le marché est saturé. Certains propriétaires profitent de leur vulnérabilité.

Absence de bail. Contrat de location qui n’a aucune valeur légale. Clauses improbables, voire racistes. Les 2000 étudiants internationaux qui déménagent à Chicoutimi ne font pas uniquement face à la pénurie de logements. Ils sont également dans une situation de vulnérabilité et des propriétaires en profitent.


D’abord, il y a la course pour se trouver un toit avant d’arriver en sol saguenéen. Les jeunes passent souvent par le réseau social Facebook ou par contacts interposés. Sept universitaires sur dix ont répondu dans le cadre d’un sondage mené par le MAGE-UQAC qu’ils ont eu de la difficulté à trouver.

L’association étudiante a reçu plus de 200 réponses à son questionnaire sur les conditions de logement des étudiants. Les principales problématiques sont l’absence de réponse des locateurs, le manque d’information, les annonces non actualisées, le prix trop élevé et la durée des baux trop longue pour certains programmes d’études.

Devant l’ampleur de la situation, le MAGE-UQAC a rédigé une lettre à l’intention du premier ministre du Québec et de la ministre responsable de l’Habitation.

« Nous devons payer quelqu’un sur un autre continent et faire un dépôt, alors qu’on ne sait même pas si c’est correct. Les propriétaires mettent de la pression et nous disent qu’il faut faire vite », raconte Delphine*, une étudiante rencontrée par Le Quotidien.

Le MAGE-UQAC a mené un sondage pour connaître la réalité des étudiants qui doivent louer un logement. Sur la photo : Marius Kada, attaché politique de l’association étudiante, Elisa Lemee, coordinatrice aux affaires locales et environnementales, et Alexis Diard, coordonnateur général.

Toujours selon les résultats de la consultation, les locataires déboursent entre 400 et 700 $ par mois pour une chambre avec salle de bain et cuisine communes. Ils sont 20 % à payer entre 600 $ et 700 $.

Et ils ne sont pas au bout de leurs peines puisqu’une fois arrivés à Saguenay, un nombre important d’entre eux se retrouvent dans une chambre qui ne ressemble pas du tout aux photos envoyées. Ce fut le cas de Béatrice. « En arrivant ici, j’en ai eu une autre et en plus, je paie plus cher », raconte-t-elle.

Marion et Jacob ont vécu une histoire semblable. La jeune femme explique qu’il y avait une grande différence entre les vidéos qu’on leur a fait parvenir et la réalité. « Aucun ménage n’avait été fait à notre arrivée. C’était très sale et il y avait des trous dans les murs. Ils ont fini par faire les réparations, mais nous avons dû relancer à plusieurs reprises. »

Son colocataire ajoute qu’il y avait de la moisissure aux fenêtres, ce qui n’apparaissait pas du tout sur les photos. Dans le contrat qu’ils avaient signé, il était stipulé que tout était fourni : électroménagers, meubles, draps et vaisselle. « Il manquait beaucoup de trucs à notre arrivée. Il a fallu faire une liste et demander d’avoir de nouveaux draps. Les proprios nous les ont remis, mais on a couru après eux. »

Aucun bail

Autre élément surprenant : ils sont plusieurs à ne pas avoir de bail. Selon le sondage mené par le MAGE-UQAC, 40 % des étudiants ont signé un contrat sans savoir qu’il n’a aucune valeur légale.

Les six jeunes rencontrés ont tous vécu cette situation.

La jeune femme s’est d’ailleurs aperçue que dans son logement, les locataires ne paient pas tous le même prix pour leur chambre.

Une situation qui choque Marius Kada, attaché politique du MAGE-UQAC. Il nous présente deux contrats imprimés sur une feuille blanche. Sur l’un, il est même écrit que « ce document est aussi valide qu’un bail officiel de la Régie du logement ».

« C’est totalement faux, s’insurge M. Kada. Ces baux sont bidon et en plus, on nous demande des dépôts allant jusqu’à 500 $ à la signature, ce qui est aussi illégal. »

Cette situation précaire crée d’autres problématiques, ajoute Marius Kada. Par exemple, six universitaires étrangers qui se sont retrouvés à la rue après un incendie en novembre sur le boulevard de l’Université n’avaient pas de preuve légale à faire parvenir à leur assureur pour leur réclamation.

Autre exemple : Ottawa offre un supplément unique de 500 $ à l’Allocation canadienne pour le logement. Les locataires à faible revenu y ont accès, s’ils font leur demande d’ici le 31 mars. « Mais il faut fournir comme preuve le bail de la Régie du logement. Alors, ils ne pourront pas y toucher », se désole-t-il.

Le bail du Tribunal administratif du logement (TAL), autrefois appelé la Régie du logement, est obligatoire depuis 1996 au Québec pour une chambre, un appartement ou une maison. Le propriétaire a l’obligation de remettre une copie du document au locataire. Il doit aussi informer son nouveau locataire par écrit (section G) du prix payé par l’ancien occupant des lieux.

Me Natacha Mignon, avocate au cabinet spécialisé en immigration Immetis, voit souvent deux mondes qui se rencontrent entre les étudiants étrangers et des propriétaires québécois. « Il y a souvent une incompréhension de base. Par exemple, le dépôt initial est légal en France, mais interdit au Québec. Alors, souvent, les étudiants ne sont pas au courant. »

L’avocate a vécu la recherche d’une chambre à Chicoutimi pour sa fille qui étudie à l’UQAC depuis deux ans. Toutes les deux ont la double citoyenneté canadienne et française. « J’ai trouvé l’expérience difficile. Il y a une très grande pénurie de logements et ils sont chers. On a finalement pris là où il y avait de la place. »

Elle s’est également assurée que sa fille signe un bail légal.

Cas de racisme

Parmi les autres règles, les colocataires ne pouvaient pas se faire à manger en même temps dans la cuisine et partager leur repas. Ils devaient manger dans leur chambre respective.

« Le propriétaire était très présent. Il débarquait à l’improviste. Finalement, en novembre, je suis partie. J’ai tout de même dû payer tout le mois de décembre et trouver quelqu’un pour me remplacer. »

Elle s’est déniché un petit logement de deux chambres avec une amie. « C’est plus loin, à Chicoutimi-Nord, mais nous sommes bien. Je suis chez moi. »

Quelques mois plus tard, elle a eu une conversation écrite avec cet ancien propriétaire qui affirmait « ne plus prendre d’Africains ».

Quelques étudiants se sont confiés au <em>Quotidien</em> sur les problématiques vécues dans leur logement respectif. « C’est très difficile à vivre, explique Marcus Kada. Tu es à l’autre bout du monde, livré à toi-même et tu dois gérer cette situation. »

Quitter sous la menace

Tous les étudiants étrangers rencontrés ont dû payer des mois en trop. Plusieurs racontent devoir effectuer un versement en juillet et en août, alors qu’ils n’arrivent qu’à la toute fin de ce dernier. Bien souvent, ils sont obligés de défrayer le mois de mai même s’ils ne sont plus à Chicoutimi.

Me Mignon tient à préciser que les étudiants internationaux ont droit à la même protection qu’un citoyen canadien. Elle a déjà vu un propriétaire menacer un locataire qu’il écrirait au ministère de l’Immigration pour le « retourner dans son pays » s’il ne se pliait pas à ses règles.

« Même avec un statut temporaire, les étudiants ont des droits et ils peuvent toujours aller sur le site du TAL. Ils peuvent aussi joindre un agent en tout temps. Même que je dirais que s’ils n’ont pas de bail légal, ils peuvent tenir le gros bout du bâton et partir. »

Delphine l’a fait. Elle a quitté son premier appartement avant la fin de son contrat. « Je devais y être d’août à juin, mais finalement, je suis partie en décembre. Il m’a dit que c’était illégal et que je n’avais pas le droit. Il m’a menacée qu’il me retrouverait. Qu’il viendrait à l’UQAC me chercher, mais il a fini par laisser tomber. »

Heureusement, la jeune femme a réussi à trouver un autre endroit où elle se sent bien.

Marius Kada ajoute que lorsque les bons propriétaires sont mis au courant de ces pratiques, ils sont navrés pour eux. « Ils s’excusent pour les autres. C’est évident que les étudiants internationaux sont sous le choc. »