Chronique|

Pourquoi les automobilistes l’emportent sur les piétons?

Des nombreux parents ont manifesté devant plusieurs écoles au Québec pour rappeler l’importance de la sécurité des piétons.

CHRONIQUE/ C’est une vraie question. Ce n’est pas juste un titre racoleur. Pourquoi les automobilistes ont-ils encore et toujours la priorité, même si ça met à risque des enfants dans des zones scolaires?


Mardi matin, devant plus d’une trentaine d’écoles à Montréal, Québec, Lévis, Sherbrooke, Granby ou Gatineau, des parents ont manifesté afin d’améliorer la sécurité des piétons et des piétonnes autour des écoles.

Et là, s’il vous plaît, retenez vos phrases du type «dans mon temps, on marchait deux kilomètres pour aller à l’école pis personne mourait» et autres «les parents ont maintenant trop peur de toute». 

Parce que le nombre de voitures en circulation a grimpé depuis ce bon vieux temps. Beaucoup. En 2015, il y avait 114% plus de voitures dans nos rues qu’en 1978.

On parle de voitures plus grosses et plus rapides qu’en 1978, aussi.

D’ailleurs, en 2015, c’était la première fois qu’on retrouvait un taux de décès chez les piétons inférieur à 50, comme en 1978.

Faut pas se réjouir trop vite, 2022 s’est terminé avec un nombre de piétons décédés largement au-dessus de la moyenne des cinq dernières années, avec 36. 

Je cite l’organisatrice de la manifestation sherbrookoise, Myriam Langlois: «C’est comme une roue qui tourne. On ne se sent pas en sécurité [d’aller à l’école] à pied, donc on y va en voiture. Mais plus il y a de voitures, moins on est en sécurité. Il faut briser ce cycle.» 

Qu’est-ce que ça dit sur nous, comme société, que des parents un peu partout au Québec ressentent un besoin de rappeler l’importance de créer des zones sécuritaires autour des écoles? De rappeler que la voiture y prend peut-être un peu trop de place? 

Pourquoi ce concept n’est-il pas déjà là? Ça devrait être dans la base d’une telle zone, intégré dès le début, comme le réseau d’aqueduc ou l’électricité. 

La culture du char

Je pense aux publicités automobiles. Quand est-ce qu’une de ces publicités montre une voiture dans le trafic? Quand voit-on une voiture rouler tranquillement dans un quartier résidentiel dans une de ces publicités? Quand voit-on une automobiliste céder le passage à un piéton? Jamais, sauf dans les campagnes de la SAAQ. 

Non, les voitures roulent presque toujours sur de grandes routes vides. Des ponts vides. Des rues de centre-ville vides. Des chemins de bois vides. «La route vous appartient», dit-on, implicitement. 

Sauf que non, la route n’appartient pas aux voitures. Pas plus qu’elle n’appartient qu’aux cyclistes ou qu’aux piétons. La rue est à tout le monde!

Mais tout le système routier est réfléchi en fonction de la voiture. Et quand une mairie ou un gouvernement essaie de rappeler que la route doit être partagée, une partie de la population les accuse de faire la guerre à l’automobile. 

Il m’est arrivé deux fois qu’une voiture essaie de me doubler pendant que je laissais passer un piéton sur une traverse piétonne. Les deux fois, c’était sur des campus – une fois à l’Université de Sherbrooke, l’autre fois à l’Université Laval. 

Ce n’était pas sur des boulevards achalandés, mais sur des petites rues au milieu d’une université, où il y a toujours beaucoup de piétons. 

J’essaie encore de comprendre ce qui peut pousser un automobiliste à vouloir doubler devant une traverse piétonne. Est-ce que leur «urgence» valait vraiment la peine de passer à deux doigts de frapper un piéton? 

Parlant de traverses piétonnes. Pourquoi les normes permettent-elles de mettre un passage piéton entre le stationnement Well Sud et la microbrasserie Siboire mais pas devant l’école Sainte-Anne? Pour y marcher régulièrement, je peux assurer que la circulation est plutôt tranquille entre le stationnement et la microbrasserie. La traverse piétonne n’y sert pas à grand-chose. Elle serait vraiment plus utile devant l’école. 

Je ne comprends pas non plus pourquoi la fluidité des voitures a encore priorité sur la sécurité des piétons.  

Je ne compte plus le nombre de fois où, comme piéton, j’ai perdu 10 des 20 secondes du temps réservé aux piétons parce qu’une voiture a tourné sur un feu rouge.

Je ne compte plus le nombre de fois où une voiture empiète sur les zones de circulation normalement prévues pour les piétons et piétonnes. 

Je ne compte plus le nombre de fois où aucune voiture ne me cède le passage alors que j’attends devant une traverse piétonne. 

Je ne compte plus toutes ces fois où les rues sont plus rapidement et mieux déneigées que les trottoirs.

Bien oui, je sais, #PasTousLesAutomobilistes, mais la majorité ne porte pas une grande considération aux autres usagers de la route. 

Évidemment, il existe aussi des piétons téméraires ou qui ne font pas attention. Petit secret: des fois c’est un acte de résistance face au fait d’être toujours le moyen de transport le moins considéré dans l’espace urbain. 

Il ne faut toutefois pas oublier: un piéton qui ne fait pas attention met en général sa propre vie en danger. Un automobiliste qui ne fait pas attention met en général la vie des autres en danger. 

Peut-être que trop d’automobilistes oublient c’est quoi la réalité piétonne. Plusieurs ne sont jamais redevenus piétons depuis l’achat de leur première voiture. 

J’ai passé la moitié de ma vie adulte sans voiture. C’est peut-être pour ça que même lorsque je suis automobiliste, je continue à considérer que les piétons et les piétonnes devraient avoir la priorité sur les voitures. 

La sécurité des plus vulnérables devrait être la priorité. Ce sur quoi on bâtit le reste. Et quand on parle de mobilité, les plus vulnérables, ce sont les piétons et les piétonnes.

Particulièrement les enfants qui se rendent à l’école.