RÉFUGIÉS UKRAINIENS | Quatre heures sur la route pour apprendre le français

Réfugiée ukrainienne, Kyra Zahaina vit aujourd'hui à Saint-Apollinaire, au Québec.

Kyra Zahaina, une réfugiée ukrainienne qui vit à Saint-Apollinaire, se lève chaque matin à 5h, puis marche trois kilomètres jusqu’à son arrêt d’autobus. Ensuite, il lui reste encore près de deux heures de transport en commun à faire avant d’apprendre le français.


Depuis septembre, la femme de 27 ans fait 30 heures de francisation par semaine dans un centre d’éducation des adultes de Lévis. Pour s’y rendre, elle marche, prend l’autobus, attend son transfert au froid, monte dans un autre autobus, marche encore. Et elle recommence le soir en sens inverse. 

Kyra est déterminée à maîtriser la langue officielle du Québec. Et elle se plaît dans sa ville d’adoption, où le calme, dit-elle, tranche avec Odessa, sa ville d’origine, bombardée à de nombreuses reprises par les Russes depuis le début du conflit. 

Mais elle commence à être épuisée par ses quatre heures de déplacements par jour. À Saint-Apollinaire, «le seul problème, c’est le transport», dit Kyra. 

Originaire d'Odessa, en Ukraine, Kyra Zahaina se sent bien à Saint-Apollinaire, sa ville d'adoption au Québec.

Frein

Pour Marie-André Carré, une bénévole qui aide Kyra et d’autres réfugiés ukrainiens à s’adapter au quotidien à Saint-Apollinaire, l’absence de francisation à temps plein dans la MRC de Lotbinière est un problème urgent à régler. 

«Les immigrants ne font pas le choix de s’établir ici à cause de cette situation-là, dit-elle. Ils vont se dire: ‘ben non, on ne va pas s’en aller à Saint-Apollinaire en campagne’. 

Mme Carré estime que l’absence de francisation à temps plein freine les efforts locaux pour attirer et retenir des réfugiés ukrainiens dans une région en plein emploi, aux prises avec une forte pénurie de main-d'œuvre. «Si on a des immigrants et qu’ils veulent apprendre le français, donnons-leur tous les outils», dit-elle. 



Chaque matin, Kyra Zahaina marche trois kilomètres jusqu’à son arrêt d’autobus, puis fait deux heures de transport en commun pour suivre des cours de francisation. Le soir, elle fait le chemin inverse.

Impasse

Le Centre de services scolaires des Navigateurs, qui dessert Lévis et Lotbinière, a envisagé d’offrir un service de francisation à temps plein dans des locaux vacants de la MRC, mais a constaté que le projet n’était pas viable. 

Un sondage mené auprès d’immigrants de Lotbinière a révélé que seulement quatre élèves auraient été en mesure de s’inscrire dans un groupe de francisation à temps plein dans la MRC. Parmi les sondés, des élèves qui étudiaient déjà au Centre d'éducation des adultes à Saint-Romuald ne voulaient pas partir. Les élèves en question étaient attachés à leurs camarades de classe, aux intervenants psychosociaux et à la chorale de l’école — d’ailleurs composée en majorité d’Ukrainiens —, explique la directrice du Centre, Sophie Turgeon.

Autres difficultés: des immigrants intéressés par la francisation à temps plein n’avaient pas tous le même niveau de français, ce qui aurait exigé plusieurs groupes. Et certains auraient eu besoin d’un CPE sur place pour garder leurs enfants, ce qui n’était pas possible à court terme. 

Bref, le projet avait du plomb dans l’aile. «On a décidé de ne pas le démarrer pour le moment, dit Mme Turgeon. Mais je ne suis pas fermée. Si, à un moment donné, on a la clientèle qu’il nous faut, on va le démarrer.» 

Aux premiers échelons de la francisation, la formation à distance ne fonctionne pas non plus, car les élèves ont besoin de l’interaction en classe, précise Sophie Turgeon. «On l’a essayé, de faire des cours en virtuels avec les niveaux les plus bas, et c’est très, très difficile», dit-elle. 

À temps partiel

Le réseau scolaire n’est toutefois pas le seul à offrir de la francisation. Le ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration finance de nombreux organismes qui dispensent ce service, souvent offert à temps partiel.

Dans Lotbinière, c’est ABC Lotbinière, à Issoudun, qui assure la francisation à temps partiel, jusqu'à 12 heures par semaine. Mais pour l’instant, l’organisme n’a pas reçu de mandat pour un temps plein, indique le directeur, Xavier Beaupré. 

Porte-parole du ministère, Arianne Méthot explique que l’absence d’un point de service offrant des cours de français à temps complet dans la MRC de Lotbinière «s’explique par le faible volume de demandes reçues annuellement en provenance de cette région».

Moins de 10 demandes ont été déposées lors des 24 derniers mois par des personnes ayant une adresse à l’intérieur des 18 municipalités de la MRC de Lotbinière, indique Mme Méthot. 

Immersion en région

Des réfugiés ukrainiens apprennent quand même le français dans la MRC. Au moins six d’entre eux le font à temps partiel chez ABC Lotbinière et travaillent en parallèle.

Pour Xavier Beaupré, cette combinaison peut être fructueuse, puisqu’elle permet aux étudiants de pratiquer au travail ce qu’ils ont appris en classe.

«Le temps partiel, ça reste quelque chose d’intéressant avec l’immersion qu’on a en région, dit M. Beaupré. Les Ukrainiens, ici, n’ont comme pas le choix de communiquer en français.»

Pour Kyra, il n’était toutefois pas question d’assimiler la langue française à petites doses.

Jusqu’à ce qu’elle trouve un autre moyen de transport, elle continuera donc à faire quatre heures de transport par jour.

Son endurance a été mise à l’épreuve au retour des Fêtes. Le 3 janvier, Kyra a attendu longtemps à l’arrêt d’autobus en face de l’église de Saint-Apollinaire, pour constater que l’autobus ne viendrait finalement pas. 

Elle a appris plus tard dans la matinée que l’horaire des Fêtes n’était pas encore terminé et qu’il n’y avait donc pas d’autobus vers Lévis. Elle n’a pas eu le choix de manquer l’école. 

La directrice du Centre d'éducation des adultes à Lévis, Sophie Turgeon, cherche un moyen d’aider Kyra à se déplacer plus rapidement. Cela pourrait passer par le transport scolaire. «On va continuer de travailler avec elle pour essayer de trouver des solutions», dit Mme Turgeon.