Ouf. C’est le genre de coup de fil qui ne laisse personne indifférent. Je ne connaissais pas (encore) Danielle, ni Luc, mais tout à coup, je me suis sentie si triste. Entendre la voix bouleversée de son conjoint, fort malgré la nouvelle tempête, m’a percutée de plein fouet.
Avant de raccrocher le combiné, Luc m’a confié que Danielle attendait avec joie notre petit rendez-vous. Elle était fière et timide en même temps, mais l’objectif de parler de La Fenêtre, Centre d’immersion aux arts qu’elle fréquentait, lui tenait à coeur. C’est exactement pourquoi j’ai osé le rappeler quelques minutes plus tard. Bien sûr, j’aurais pu demander à un autre usager de La Fenêtre de me raconter à quel point les cours d’art du Centre lui apportent du bonheur.
Mais j’étais incapable d’éclipser Danielle et ces toiles colorées de mon esprit.
Je connaissais déjà les grandes lignes de l’épopée de cette famille, de ce couple si inspirant. Isabelle Légaré avait écrit un magnifique article intitulé « Dans la tête de Danielle » publié dans ce même journal il y a un peu moins d’un an. J’avais aussi visionné sur la plateforme « Kickstarter » la touchante vidéo que le fils de Danielle et Luc, Olivier Duval Laberge, avait réalisé pour lancer le projet d’ouvrir une galerie d’art afin d’exposer les nombreuses oeuvres de sa mère.
Luc Laberge a accepté sans hésiter. La peinture, les cours à La Fenêtre, c’était ce qui rendait sa compagne heureuse, ce qui lui donnait envie de continuer, malgré le handicap et les limitations.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/FGSDAOE2DVBYDGLUPCZSZNULRU.jpg)
Avant que la première rupture d’anévrisme au cerveau vienne chambouler la vie de toute la famille, Danielle travaillait comme enquêtrice pour l’aide sociale après avoir oeuvré quelques années à l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec (connu à cette époque sous le nom du Centre François-Charron). En tant que travailleuse sociale, celle qui était toujours pleine d’énergie s’occupait de jeunes délinquants et de personnes handicapées.
« Tout le monde l’aimait! », me répète plusieurs fois son conjoint.
Même lorsqu’elle dénichait des fraudeurs de l’aide financière de dernier recours et que le filou se retrouvait amputé d’une certaine somme d’argent, il la remerciait malgré tout.
« Une femme forte, elle avait du cran! Au bureau, quand un dossier était compliqué, c’est à Danielle qu’on le confiait » ajoute Luc, encore admiratif malgré les années qui ont passé.
À la maison, l’énergique maman s’occupait de tout. Les enfants, les repas, l’organisation de la famille, c’était elle qui s’en chargeait. L’artiste enfouie au fond de Danielle Duval s’exprimait à cette époque-là par la peinture de meubles. Elle adorait aussi décorer son domicile en disposant des cadres sur les murs et en agrémentant l’espace par de nombreuses plantes, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Mais pas encore de peinture artistique sur toile…
Jusqu’à ce que son handicap lui dévoile sa passion. Après une longue réadaptation à Interval, Luc s’était battu contre vents et marées pour la ramener chez elle. En dépit de l’énormité de la charge pour le proche aidant, l’amoureux de Danielle n’a jamais regretté son choix. Encore moins aujourd’hui alors qu’il prend conscience du temps qu’il leur était compté.
C’est attablée à la cuisine, face à une grande fenêtre qui offre une magnifique vue sur le fleuve Saint-Laurent, que Danielle Duval a débuté sa carrière d’artiste peintre. Elle y peindra pas moins de 2000 toiles. Droitière avant la paralysie de tout son côté droit, elle a développé l’agilité de sa main gauche, une toile après l’autre.
Deux ans après l’accident cardio-vasculaire de 2002, la mère de deux adolescents s’inscrivait à un cours de peinture à La Fenêtre. Le Centre, situé à Trois-Rivières, offre toutes sortes d’ateliers d’art adaptés aux personnes handicapées. Cette activité sociale répondait parfaitement aux besoins de Danielle. C’était il y a dix-huit ans, et depuis, Danielle ne ratait jamais un cours de peinture.
« Je pense que c’est la plus grande admiratrice de La Fenêtre qu’ils ont...» ajoute Luc dont la voix se brise en réalisant que la conjugaison de sa phrase doit désormais être à l’imparfait.
Danielle attendait impatiemment le mercredi, jour de son escapade à La Fenêtre. Un peu mélangée dans l’ordre des journées de la semaine, elle relançait souvent son conjoint en lui demandant quand était sa sortie hebdomadaire. Le couple s’en amusait comme un « running gag » tant Danielle avait hâte d’y être.
Le mercredi, Luc et Danielle avaient l’habitude de partir de bonne heure pour aller déjeuner. Au lieu d’entrer dans les restaurants, ce qui était assez compliqué, ils se prenaient un petit quelque chose pour emporter et allaient se stationner sous le pont Laviolette. Ils mangeaient dans leur véhicule tout en regardant le paysage par la grande vitre. Puis, ils se rendaient à La Fenêtre après que Luc eut refait une petite beauté à son amoureuse.
«Tout le monde l’aime, elle les fait tous rire. Danielle, c’est comme un aimant, elle est tellement rassembleuse! Quand elle allait à son cours, c’était le plus grand plaisir sur une personne que j’ai vu.»
À son grand regret, Luc qui devait travailler pour assurer le bien-être de sa famille avait été contraint de s’absenter lors de ces journées. Mais qu’à cela ne tienne, Danielle se rendait quand même à La Fenêtre... en taxi!
« Personne croyait que c’était possible! »
Jusqu’à ce que Luc puisse prendre sa retraite et reprendre leur agréable routine du mercredi.
Les toiles de Danielle vacillent entre le figuratif et l’abstrait. Certaines formes évoquent un visage alors que d’autres ressemblent à un soleil ou à des végétaux. Dans les toiles plus abstraites, on sent les émotions vécues par la courageuse artiste transpercer la matière. Les couleurs vives et la texture donnent un joli caractère aux oeuvres qui sont toutes uniques malgré la quantité impressionnante qui recouvre les murs et le plafond de sa galerie d’art située dans leur demeure, à Champlain.
Danielle avait été invitée à prendre la parole lors de la 23e édition de l’Encan d’oeuvres d’art de La Fenêtre en tant que participante. La vie en aura décidé autrement. Danielle Duval est malheureusement décédée dans la nuit du 23 novembre alors que son conjoint était à ses côtés pour lui tenir la main.
Une autre fenêtre s’est ouverte pour l’artiste. Sa présence manquera à tous ceux et celles qui la côtoyaient. Elle laisse tout de même une ribambelle d’oeuvres colorées en témoignage de son parcours inspirant.
L’une de ses toiles sera d’ailleurs mise à l’encan silencieux le 4 décembre prochain.
***
Pour en connaître un peu plus sur l’artiste :
- Dans la tête de Danielle, Isabelle Légaré
- Danielle Duval, le ciel est toilé, Olivier Duval Laberge
Pour contribuer à la pérennité des services de La Fenêtre, vous êtes cordialement invité à l’encan annuel d’oeuvres d’art le 4 décembre prochain au pavillon St-Arnaud à Trois-Rivières, de 13h à 16h. Les billets sont en prévente à 20$ et 25$ à la porte. Je serai présente pour vous accueillir, entourée par la super équipe de bénévoles.
Psssst: Ma toile « Duo » y sera aussi. Je termine donc en vous partageant la petite phrase qui s’y rattache et qui est tout à propos: « Lorsque l’art nous habite, aucune limite ne peut freiner notre créativité… il faut juste travailler un peu plus fort pour continuer à l’exprimer. »
Pour toutes informations : https://lafenetre3r.org/encan-2022/
***
Artiste peintre, conférencière, auteure… et quadruple amputée, Marie-Sol St-Onge partage sa façon de voir les choses qui l’entourent. Un angle de vue différent, mais toujours teinté d’humour et de positivisme.