« Mes influences principales sont des auteurs qui ont fait des nouvelles. L’un d’eux étant Borgès, la première du livre a pour titre Le temps qui passe, Borgès et moi. Elle se déroule dans le petit parc situé près du boulevard Harvey, à Jonquière, pas loin du pont. Il y a un échange entre moi maintenant et moi à 18 ans, puisque c’est là que je me tenais à l’adolescence, avec mes amis. On se demande lequel est réel et lequel est un fantôme », a mentionné l’écrivain au cours d’une entrevue téléphonique accordée au Progrès.
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Un peu plus loin, dans Traversée du Cap avec l’aïeul, c’est une autre sorte d’apparition qui sollicite l’attention du lecteur. S’exprimant au je, la dame au cœur de cette histoire se rend dans la ville de Cap-Haïtien pour déposer les cendres de sa mère. Profitant d’un moment de détente à l’hôtel, elle enfile quelques cocktails avant de se voir accompagnée par un vieil homme grandiloquent. Une scène classique, se dit-on, avant de comprendre qu’il s’agit du poète Oswald Durand, son aïeul né en 1840.
« Cette nouvelle a été écrite à la demande de ma sœur, qui voulait célébrer le 350e anniversaire de Cap-Haïtien. Oswald Durand, c’est aussi mon ancêtre », précise Stanley Péan qui, lui-même, effectue quelques apparitions dans le livre, sous les traits de son alter ego Marvin Courage. Celui-ci est amateur de jazz, un peu tombeur et foncièrement noctambule. La différence avec la vraie vie est que dans Bootleg, cet homme paie le prix fort pour quelques heures de plaisir en bonne compagnie.
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« J’ai commencé à utiliser ce personnage en 1996, fait observer l’écrivain. Il est présent trois fois dans Crépusculaires et on le retrouve aussi dans l’ouvrage collectif Face à face, paru cette année chez Druide. Le texte que j’ai écrit pour ce recueil présente une confrontation entre l’auteur et Marvin Courage. Celui-ci lui demande des comptes. »
Mais revenons à Bootleg pour illustrer le bonheur que prend l’auteur à semer des références tantôt obscures, tantôt évidentes. Ainsi est-il question d’un album pirate paru sous l’étiquette Bythinia, mais bien malin qui devinerait qu’il s’agit d’un clin d’oeil au regretté Claude Mathieu. « Il est tombé dans l’oubli après avoir publié trois livres, dont La mort exquise, un recueil de nouvelles. L’une d’elles a pour titre Le pèlerin de Bythinia», révèle Stanley Péan.
Autre exercice ludique, Crépusculaires renferme quelques nouvelles se résumant à une poignée de phrases. « Certaines d’entre elles ont 320 caractères, le même nombre que le maximum permis sur Twitter. Ça présente un défi formel intéressant, dont l’origine remonte à 2019. Au restaurant montréalais Le petit extra, j’ai animé un événement littéraire qui m’a amené à produire des textes respectant ce format. Dans ce contexte, le défi, c’est de réduire », avance l’écrivain.
Jamais loin dans ses pensées, la mort s’est invitée une nouvelle fois dans Requiescat in pace, mais pas celle qu’on imagine. Cette fois, c’est un événement heureux, l’amorce d’une relation, qui constitue l’élément déclencheur. Puisque l’homme a évoqué le fait qu’une part de lui était morte depuis longtemps, sa nouvelle partenaire a imaginé un enterrement rituel en forêt, destiné à faire table rase de ce bagage encombrant.
« Ma blonde étant proche de la nature, l’inspiration est venue de là. Je crois aussi qu’il est possible d’avoir une spiritualité hors de la religion », confie Stanley Péan.
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Les prochains sujets: Michel Donato et Wallace Roney
Les prochains livres de Stanley Péan devraient porter sur le jazz. Le premier sera probablement une biographie du contrebassiste Michel Donato, un projet amorcé à sa demande expresse il y a quatre ans. Arrivé à l’heure où les ombres s’allongent, ce musicien d’exception, qui a joué avec Oscar Peterson, Michel Legrand et Bill Evans, que Miles Davis a souhaité recruter, désirait laisser une trace ailleurs que sur un disque.
« Au début, ça me faisait peur parce que je savais que ça deviendrait un sacerdoce. Puis, on a commencé à se voir chez moi tous les mardis, avant la pandémie. J’ajoutais parfois un invité pour stimuler sa mémoire, qui n’est pas très bonne. Quelqu’un comme Karen Young, par exemple. On a aussi fait un voyage à Toronto », rapporte l’écrivain.
Pour illustrer à quel point le travail de recherche est nécessaire dans le cadre de ce projet, il parle de la fois où Michel Donato lui a dit qu’il n’avait enregistré qu’un disque avec Shirley Théroux. Vérification faite auprès de la chanteuse, la réponse est trois. Il faut dire qu’au fil de sa longue carrière, le jazzman a collaboré avec tout le monde, ou presque.
« La contrebasse sur la pièce Gilberto de Diane Tell, c’est lui. Il a aussi travaillé avec Félix Leclerc, Marie-Denise Pelletier et plein d’autres personnes associées au monde de la chanson. C’est pour cette raison qu’à travers sa biographie, je brosserai un portrait de la scène jazz et populaire qui couvrira une période de 60 ans. Il a toujours été un musicien tout-terrain », décrit Stanley Péan.
Intitulé Bleu sur le vif, qui est le nom d’une composition de Michel Donato, le livre devrait être publié en 2023. « Je lui donne le manuscrit au fur et à mesure. Près de 200 pages ont été produites à ce jour », rapporte l’écrivain.
Requiem pour Wallace Roney
L’autre projet qui tôt ou tard va se concrétiser est né de l’amitié qui unissait Stanley Péan et le trompettiste américain Wallace Roney. Proche de Miles Davis, qui l’avait pris sous son aile, celui-ci avait amorcé le processus en partageant ses souvenirs, dont ceux associés à l’homme qui fut pour lui un mentor.
« J’ai eu le temps d’écrire de 60 à 70 pages, toutes révisées par Wallace. Or, il est devenu le premier jazzman américain tombé en raison de la COVID, le 30 mars 2020. On m’avait dit qu’il était dans un hôpital de New York. J’ai voulu l’appeler pour voir comment ça allait, mais je ne l’ai pas fait. De toute manière, ce jour-là, il était déjà dans le coma », raconte son ami.
L’un des premiers souvenirs relatés par Wallace Roney sur les enregistrements se rapporte à un autre décès, celui de John Coltrane. Âgé de sept ans à ce moment-là, le futur virtuose, qui a grandi au sein d’une famille de Philadelphie où la musique occupait une place de choix, avait appris la nouvelle en écoutant la radio. Lui si jeune, il avait compris qu’un artiste de premier plan venait de souffler sa dernière note.
En attendant de trouver la bonne manière d’utiliser le témoignage de Wallace Roney, Stanley Péan a produit une nouvelle intitulée Pièce de collection, laquelle figure à la toute fin du livre Crépusculaires. C’est son alter ego, Marvin Courage, qui en est le protagoniste, lui qui reçoit un album live au contenu étonnant.
« J’ai imaginé une session céleste où Wallace joue avec plein de gens, dont Miles, alors qu’ils sont tous décédés, note l’écrivain. Marvin Courage comprend alors que c’est un cadeau provenant de l’au-delà. »