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Lever le voile sur le mystère Alexandre Cazes [VIDÉO]

Alexandre Cazes avait pu amasser une fortune personnelle estimée à plusieurs dizaines de millions de dollars, et possédait de nombreuses résidences luxueuses et voitures de luxe.

CHRONIQUE / «Je connais mon fils. Il y a des gens qui le dépeignent comme le plus grand criminel. Oui il a créé quelque chose d’épouvantable, mais mon fils est un enfant comme tout le monde, ce n’était pas un voyou. Je pense vraiment qu’il avait besoin de prouver quelque chose. Et je ne pense pas qu’il était seul.»


Ni le temps, ni les révélations des différentes enquêtes policières, ni même ce que les journalistes Monic Néron et Simon Coutu ont pu découvrir ne sont venus à bout de l’amour que Danielle Héroux éprouve pour son fils Alexandre Cazes. Pour toujours, elle sera une maman. Pour toujours, elle l’aimera du plus profond de son coeur.

Celui que l’on qualifie aujourd’hui comme le plus grand trafiquant de drogues au Canada, et qui a été retrouvé mort en juillet 2017 au fond de sa cellule à Bangkok en Thaïlande, est aujourd’hui au coeur d’une série documentaire, Alpha-02; le mystère Alexandre Cazes, menée par les deux journalistes afin de faire la lumière sur sa vie hors de l’ordinaire et sur les circonstances de sa mort, toujours nébuleuses.

Les journalistes Simon Coutu et Monic Néron sont à l’origine de la série documentaire «Alpha-02; le mystère Alexandre Cazes». Sur le plateau de Tout le monde en parle, dimanche soir, ils étaient accompagnés de la maman d’Alexandre, Danielle Héroux.

Il n’y a rien de banal dans l’histoire d’Alexandre Cazes. Sa mère le sait. Elle l’a réalisé le matin du 5 juillet 2017, lorsqu’un officier de la GRC est venu frapper à la porte de son logement de la rue Vivier, dans le secteur Cap-de-la-Madeleine, pour lui annoncer que son domicile faisait l’objet d’une perquisition. À partir de ce jour, sa vie n’a plus jamais été la même. Encore aujourd’hui, toute cette histoire fait mal.

Pour Danielle Héroux, rien ne laissait même imaginer ce qu’Alexandre pouvait trafiquer en Thaïlande, où il vivait depuis plusieurs années. Même quand elle s’était rendue à son mariage quelques mois plus tôt, elle ne pouvait pas se douter qu’il était soupçonné d’être à la tête du plus gros réseau de trafic de stupéfiants, d’armes et de produits illégaux sur le dark web, AlphaBay. Elle ne se doutait pas non plus que grâce aux transactions faites en cryptomonnaie, il avait pu amasser une fortune personnelle de dizaines de millions de dollars et menait un train de vie princier.

À travers leur quête qui a duré de nombreux mois, les journalistes Monic Néron et Simon Coutu ont tenté de remettre en place le casse-tête qu’était Alexandre Cazes. Car ce jeune homme, c’était un véritable puzzle, dont les morceaux ont été dispersés aux quatre coins du monde en juillet 2017. D’une perquisition sur la rue Vivier à une autre dans un local de la rue Saint-Laurent à Trois-Rivières, les policiers ont frappé à la fois en Thaïlande, au domicile de Cazes, et en Europe, là où étaient hébergés les serveurs d’AlphaBay.

Le mandat de cette série documentaire était cependant clair dès le début: les journalistes cherchaient des réponses, peu importe ce qu’ils allaient trouver. Le but de la série n’était pas de laver l’honneur de Cazes, ni même de le dépeindre comme une victime. «Ce qu’on voulait, c’était la vérité», confie Monic Néron. Une vérité qui a été difficile à découvrir, et surtout très douloureuse à transmettre à la famille.

«Je vais être honnête: ça a probablement été l’un des moments les plus difficiles de ma carrière, de retourner vers Danielle avec les informations que nous possédions et de devoir lui dévoiler tout ça au sujet de son fils. Mais elle a été très solide là-dedans, très résiliente. Elle aussi, elle voulait la vérité. Oui, il y a des affaires qui font mal, on n’a peut-être trouvé les réponses qu’elle aurait aimé entendre», explique Monic Néron en entrevue au Nouvelliste.

Pour les besoins du tournage, l’équipe a multiplié les séjours à Trois-Rivières dans les derniers mois. Entre les domiciles de la mère et du père d’Alexandre Cazes, des amis d’enfance du jeune homme qui ont bien accepté de témoigner à visage découvert, jusqu’à la chambre d'un motel du Bas-du-Cap, où les journalistes donnaient rendez-vous aux sources anonymes qui ont permis de reconstruire, petit bout par petit bout, un puzzle complexe. À travers toutes ces rencontres et tous ces séjours, Monic Néron n’en démord pas: l’histoire d’Alexandre Cazes a laissé une cicatrice profonde dans le coeur de la communauté de Trois-Rivières.

Dans les jardins du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap, la mère d’Alexandre Cazes, Danielle Héroux, a fait poser une plaque commémorative pour pouvoir se souvenir de son fils, décédé en 2017.

«C’est ce qu’on entendait souvent: que la vraie histoire n’avait pas été racontée. On a même entendu plusieurs fois les rumeurs voulant qu’Alexandre Cazes était encore en vie. Cette piste-là aussi, on l’a explorée. C’était un peu comme si personne n’avait connu le même Alexandre. Il y a quelques personnes qui n’ont pas voulu nous parler. Il y a des gens qui avaient peur d’être associés à lui», constate la journaliste.

Une enquête qui, dans les deux premiers épisodes de la série qui ont été présentés lundi aux médias, dévoile qu’une jeune femme de la région se trouvait en Thaïlande avec son conjoint, au domicile de Cazes, le jour où le FBI et la police thaïlandaise ont frappé. En détail, la jeune femme qui a requis l’anonymat nous replonge dans cette journée où l’on a mis la main au collet de celui qu’on soupçonnait être à l’origine d’AlphaBay. Un moment cauchemardesque qu’elle n’oubliera jamais.

On y présente les techniques d’enquête qui ont permis de remonter jusqu’à lui, et comment une simple erreur de débutant a pu faire en sorte qu’il soit retracé par le FBI avec une adresse courriel personnelle. On y apprend l’ampleur des dégâts causés par AlphaBay, site par lequel on soupçonne que la vente d’opioïdes a pu mener à la mort par surdose de 300 personnes seulement aux États-Unis.

Une enquête qui questionnera aussi les circonstances de la mort du jeune homme, dont la version officielle est le suicide. Parce que personne n’a jamais officiellement identifié son corps. Parce que bien des gens avaient intérêt à ce qu’Alexandre ne parle pas.

Cette photo prise en Thaïlande montre le moment où les autorités thaïlandaises ont évacué le corps d’Alexandre Cazes, qui venait de mourir à la prison où il était détenu depuis une semaine, en attente de sa déportation vers les États-Unis.

Mais à travers le récit, on comprend aussi d’où venait Alexandre Cazes, qu’il était ce jeune homme surdoué, mais victime d’intimidation à l’école primaire et secondaire. Adepte d’informatique depuis son plus jeune âge, il avait mis sur pied sa propre compagnie de création de sites web très jeune. Il a été élevé par une mère monoparentale qui lui a donné autant d’amour que possible. Il admirait et avait en très haute estime son père, qu’il voyait dès qu’il le pouvait.

C’est ça aussi, l’histoire d’Alexandre Cazes. C’est l’histoire de victimes collatérales qui ont vécu, et vivent encore, l’enfer et les contrecoups de cette industrie illégale qui a attiré dans ses filets un jeune homme possiblement séduit par l’appât du gain.

Alexandre Cazes avait pu amasser une fortune personnelle estimée à plusieurs dizaines de millions de dollars, et possédait de nombreuses résidences luxueuses et voitures de luxe.

C’est aussi l’histoire d’une petite fille, Alyssa, née quelques semaines après l’arrestation et la mort d’Alexandre, et qui n’aura jamais connu son père...

Pour Monic Néron, que l’on connaît comme étant à l’origine de plusieurs enquêtes dont celle menée conjointement avec les journalistes Émilie Perreault et Améli Pineda sur les allégations ayant fait tomber Gilbert Rozon, ou encore comme co-réalisatrice du documentaire «La parfaite victime», l’enquête sur Alexandre Cazes aura laissé des marques très profondes dans sa vie.

«Je me suis demandé, en cours de route, si ce ne serait pas ma dernière. Ce sont des enquêtes qui sont très prenantes, qu’on porte bien souvent pendant plus d’une année sur nos épaules, à n’en pas dormir pendant des nuits entières. Il y a des proches, des familles, qui fondent beaucoup d’espoir en nous. J’ai eu la chance de pouvoir compter sur mon collègue Simon Coutu qui est un journaliste extrêmement dévoué. Pour moi, le feu est encore là, mais je suis essoufflée par ces enquêtes», confie-t-elle.

La série, rendue disponible mardi le 22 novembre sur ICI Tou.TV Extra, ne répondra peut-être pas à toutes les questions. Peut-être sera-t-elle la bougie d’allumage pour la divulgation de nouvelles informations. Mais pour le téléspectateur, elle est fascinante, poignante, profondément humaine et nous tient en haleine du début jusqu’à la fin, dans un monde que l’on croit tellement loin de nous, mais qui se déploie au quotidien tout près, à chaque coin de rue.

Et pour Danielle Héroux, elle aura permis un certain cheminement, même si elle n’arrivera jamais véritablement à faire le deuil de son fils. «Dans ce processus, ça m’a fait du bien d’entendre les gens parler de lui. Les proches, les gens de la famille, les amis. De voir le souvenir que les gens gardaient de lui. Pour le reste, j’essaie autant que possible d’être dans le lâcher-prise», évoque la maman.