Chronique|

Un dernier Fernand

Fernand, c’était cet homme – ce personnage! – que je rencontrais régulièrement dans la foire alimentaire des Galeries de Hull

CHRONIQUE / J’étais trop tôt pour un rendez-vous. Je me suis donc arrêté dans un Tim Hortons pour un café.


J’étais seul à ma table. Comme bien d’autres hommes et femmes assis seuls à leur table. Je lisais mon Droit sur mon téléphone en maugréant et en commentant à moi-même chaque nouvelle. «Ce Donald Trump est complètement fou… Qu’attendent les Sénateurs pour mettre le coach à la porte? Déjà de la neige!? Ta… Le prix de la laitue qui risque de quadrupler? On va être obligé de manger des épinards. Et je déteste les épinards… Ce Poutine devrait être emprisonné…»

Puis tout à coup, ça m’a frappé. J’étais devenu… Fernand!



Vous vous souvenez de Fernand? «Comment l’oublier!?», répondront les plus fidèles lecteurs de cette chronique.

On me pose régulièrement les deux mêmes questions lorsqu’on me croise:

«Où trouvez-vous vos sujets de chroniques?»

«Ce Fernand, existe-t-il vraiment?»



Fernand, c’était cet homme – ce personnage! – que je rencontrais régulièrement dans la foire alimentaire des Galeries de Hull. Il était toujours seul à sa table. Le Droit (papier) déjà lu et fermé devant lui, il observait le va-et-vient du centre commercial, il saluait les employés de la place d’un hochement de tête, il s’ennuyait.

Retraité et veuf, il passait ses avant-midi à cette table des Galeries, seul avec son café. Comme tant d’autres hommes et femmes autour de lui.

Je m’arrêtais de temps en temps lui tenir compagnie. On jasait des nouvelles du jour dans «son» Droit. Il commentait chaque texte comme lui seul pouvait le faire. Puis je résumais notre entretien dans une chronique.

Fernand n’avait pas la langue dans sa poche. Il n’était pas, comme on dit, «politically correct». Un brin bougonneur, drôle sans le vouloir, ses observations étaient parfois aussi croches et surprenantes que désopilantes. Souvent, Fernand disait tout haut ce que les autres pensaient tout bas. Et il me permettait d’écrire dans une chronique ce que je n’aurais jamais osé écrire sans lui.

Nos rencontres dans Le Droit ont duré à peu près 10 ans. Peut-être un peu moins, je ne sais plus. On me parlait de lui régulièrement. Puis Fernand est disparu du jour au lendemain. Fini. Adieu Fernand. C’était assez.

Je ne parle plus de lui depuis au moins 10 ans. Mais à ce jour, on me demande encore comment il va, ou pourquoi on ne le lit plus, ou s’il est décédé ou, évidemment, s’il existe vraiment.



Comment une conversation avec Fernand se déroulerait-elle aujourd’hui?

Il me parlerait sûrement des deux hurluberlus arrêtés après avoir abattu trois sangliers et un wapiti sur les terres du… parc Oméga!

«Tu parles de deux beaux “zoufs”, toi!, aurait-il lancé. Une chance qu’ils ont été arrêtés. T’imagines, Gratton?

— J’imagine quoi, Fernand?

— T’imagines si ces deux ti-casses étaient toujours en liberté? Leur prochaine partie de chasse aurait été au Zoo de Granby! Ils seraient revenus avec un éléphant et un kangourou su’l’toit de leur truck! Emmène pas ces deux «tarlas» au Biodôme de Montréal, ils vont tirer à bouttes portants sur les pingouins!

— Les manchots, tu veux dire.

— Manchots, ti-casses, tarlas, appelle-les comme tu veux!».

C’est ce que Fernand en aurait dit. Ou quelque chose comme ça.



Fernand sur le port du masque? D’accord. Allons-y…

«Eille! Eille! Eille! T’as lu ça Gratton? C’était dans ton Droit ce matin.

— Quoi ça, Fernand?

— Le gouvernement qui recommande fortement le port du masque dans les places publiques. Il ne l’oblige plus, il le recommande. Comme si le monde vont l’écouter. Ils ne l’écoutaient même pas quand il l’obligeait! Tu sais pourquoi il ne l’oblige plus, hein Gratton?

— Non, mais je suis certain que tu vas me le dire, Fernand.

— Il ne l’oblige plus parce que les politiciens ont peur des truckers! Pis pendant ce temps-là, les vieux comme moi meurent de la bibitte-19. C’est quoi le problème avec le monde qui ne veulent pas le porter, leur sapré masque? C’est pas dur de se mettre un masque dans la face, les “goalers” le font chaque soir. Même que ça réchauffe en hiver! Mais non. C’est chacun pour soi. C’est du moi, moi, moi. Et la bibitte-19 continue à se promener.

— Es-tu vacciné, Fernand?

— Si je suis vacciné? Bâtisse! Je suis rendu à cinq vaccins! J’ai été piqué plus souvent qu’une courtepointe! Je bois un café et il me sort par les trous dans mon bras! J’ai plus de trous qu’un mini-putt!

— Mais j’y pense, Fernand, il est où ton masque?

— Je l’ai oublié à matin.»

Il était unique, ce cher Fernand, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais a-t-il vraiment existé? On m’a encore posé la question la semaine dernière.

Oui. Il a existé dans cette chronique, dans nos pages. Il a existé au même titre que Bobino ou que tout autre personnage a existé. Fernand a été créé dans le seul but de vous divertir.

Mais est-ce que je m’arrêtais aux Galeries de Hull prendre un café avec cet homme seul à sa table? Non.

Fernand, pour tout vous dire, c’était moi.