Chronique|

La valse chinoise

Le premier ministre canadien Justin Trudeau discute avec le président chinois Xi Jinping .

CHRONIQUE / Ainsi, Justin Trudeau a fait la leçon à son homologue chinois lors d’un échange impromptu d’une dizaine de minutes en marge du sommet du G20. Le président Xi Jinping n’a pas apprécié que les reproches qu’il a essuyés se retrouvent à la Une des médias canadiens. Il l’a fait savoir à M. Trudeau en s’organisant pour qu’une caméra capte la rebuffade. Faux pas diplomatique? Réjouissons-nous plutôt que le Canada se dote enfin d’une colonne. Mais beaucoup reste encore à faire pour neutraliser l’inquiétante dictature.


On doit savoir gré au président Xi de cette mise en scène qui a au moins permis de confirmer que les reproches initiaux ont bel et bien été formulés. Car personne d’indépendant n’avait assisté à l’échange. Il fallait croire sur parole l’équipe du premier ministre. Cela n’était pas sans rappeler le fameux «Sortez de l’Ukraine» que Stephen Harper s’était vanté d’avoir servi à Vladimir Poutine en 2014, là encore au détour d’une poignée de main en marge d’une rencontre du G20 en l’absence de tout témoin neutre. Il est politiquement payant pour un chef d’État de paraître déterminé face à un pays mal-aimé de ses électeurs, et ni la Russie ni la Chine ne remportent des concours de popularité ici.

La parole canadienne face à la Chine se libère et il faut y voir l’effet de la libération des deux Michael, survenue il y a 14 mois. Tant que ces deux Canadiens demeuraient otages du régime chinois, Ottawa marchait sur des œufs pour ne pas empirer leurs conditions de détention. Depuis leur retour, les choses ont bougé.

Le Canada a boycotté — diplomatiquement — les Jeux olympiques d’hiver de Beijing. Il a annoncé ce printemps qu’il ne permettrait pas aux entreprises de télécommunications d’utiliser des composantes du géant chinois Huawei dans son réseau 5G. Il a publié fin octobre des lignes directrices sur les «minéraux critiques». Elles rendent désormais quasi impossible l’acquisition, par des entreprises d’État étranger, de minières canadiennes exploitant l’un ou l’autre des 31 minéraux jugés stratégiques, tels que le lithium, le cuivre ou encore la potasse.

C’est en vertu de ces nouvelles règles qu’Ottawa a forcé il y a deux semaines trois minières chinoises à se départir de leurs parts dans Power Metal, Lithium Chile et Ultra Lithium. Certaines de ces entreprises ne forent même pas en sol canadien. Quelle est la stratégie? Une part très importante des minières de la planète sont inscrites à la bourse de Toronto (43%, clame le TSX). Le Canada utilise donc ce levier pour stopper l’accroissement de la présence chinoise dans ce secteur névralgique pour les industries du futur, dont celles des véhicules électriques et des téléphones cellulaires. L’idée n’est pas tant d’empêcher les entreprises cotées en bourse canadienne d’approvisionner la Chine que de prévenir que ces entreprises, autrement passées sous contrôle chinois, n’approvisionnent plus les autres pays.

Encore du chemin à faire

Le Canada agit donc, mais lentement. Il pèche encore par naïveté. On fait grand cas cette semaine de l’arrestation de Yuesheng Wang qui aurait obtenu des secrets industriels d’Hydro-Québec au bénéfice de la Chine. Mais ce n’est pas la première fois que cela arrive. À Kanata, qui fut à une certaine époque la Silicone Valley canadienne, il était fréquent que des employés d’origine chinoise se fassent épingler pour espionnage. Ils étaient le plus souvent congédiés discrètement, leurs employeurs voulant taire qu’ils avaient été floués. Huawei n’est-il pas devenu le géant des télécommunications que l’on sait en volant les secrets de Nortel?

Cela fait des années qu’on entend parler de vol de propriété intellectuelle. Pourtant, l’an dernier, Ottawa a simplement accouché de «lignes directrices sur la sécurité nationale» à l’intention des universités désireuses de faire des partenariats avec la Chine. On leur dit de faire attention, sans plus. En comparaison, l’Alberta a interdit tout nouveau partenariat.

On attend aussi toujours de savoir pour quelles raisons deux chercheurs d’origine chinoise ont été congédiés en 2021 du Laboratoire national de microbiologie de Winnipeg, un laboratoire de haute sécurité où on manipule les pathogènes les plus mortels. Espionnage? On l’ignore, mais le gouvernement invoque la «sécurité nationale» pour ne rien dire. On ne sait même pas où se trouvent maintenant ces deux personnes. Des voisins les croient repartis en Chine. L’opposition réclamait depuis plus d’un an l’accès aux documents qui permettraient de comprendre ce qui s’est passé. Elle les verra finalement, en version non caviardée, mais on ignore ce qu’elle aura droit de transmettre au public.

La semaine dernière, le réseau Global a révélé les grandes lignes d’un rapport du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) présenté au premier ministre en janvier. On y apprend que la Chine aurait financé clandestinement au moins 11 candidats à l’élection de 2019 et placé des pions dans des bureaux de députés pour influencer les politiques publiques. La chose est très inquiétante en soi, et c’est ce qui a motivé M. Trudeau à reprocher au président Xi son ingérence.

Le président chinois Xi Jinping

Tout aussi inquiétant est le fait que le SCRS n’en a pas pipé mot lors de son passage en comité parlementaire une semaine avant la fuite. Le comité se penchait sur l’ingérence étrangère dans notre système électoral et le SCRS s’est contenté de dire qu’il y en a eue, mais qu’elle n’avait pas été suffisante pour menacer l’intégrité de nos élections. Quoi d’autre ne nous dit-on pas?

Devant ce même comité, les conservateurs se sont emparés de l’histoire de Global pour exiger de prolonger l’étude en cours. Les libéraux ont acquiescé, mais non sans lancer une accusation outrancière. «Les conservateurs camouflent leur véritable intention qui consiste à dire que lorsqu’ils perdent [l’élection], c’est à cause de la Chine. Mais quand ils gagnent, ils gagnent, a lancé la députée Jennifer O’Connell. Cela me rappelle Trump pendant les élections de mi-mandat.» Mme O’Connell a même dit trouver suspect que les conservateurs ne s’inquiètent pas autant de l’ingérence russe qui aurait davantage, selon elle, ciblé les libéraux.

Ces propos donnent à penser que les libéraux voient encore cet enjeu comme une affaire partisane. Et cela contredit les récents messages de ministres, notamment de Mélanie Joly qui a parlé de la Chine comme d’une «puissance perturbatrice». Le gouvernement devra rectifier le tir s’il ne veut pas donner l’impression qu’il s’adonne seulement à une valse, en faisant un petit pas devant puis un petit pas derrière.