Une gestion des pompiers «pour économiser»

Les pompiers temporaires ont tous refusés d’être présents à la journée portes-ouvertes de la caserne #4 à Chicoutimi-Nord.

Sans parler de moyens de pression, les pompiers sont passés aux actes au cours des derniers mois pour attirer davantage l’attention de l’état-major et signifier leur mécontentement. Pour ceux qui ont choisi de parler publiquement aujourd’hui, il s’agit d’un ultime cri du cœur.


La première action a été menée au printemps dernier lors de l’attribution des remplacements pour les vacances d’été. Les employés temporaires ont décidé de ne pas répondre au téléphone pendant une semaine. Une façon de faire savoir qu’ils n’en peuvent plus du fonctionnement actuel de la liste de rappel et de cette obligation d’avoir le téléphone à portée de main 365 jours par année.

« Si je ne réponds pas parce que je suis dans la douche, je rappelle huit minutes après et il est trop tard. J’ai perdu mon remplacement, même s’il n’était que pour dans un mois. Ils n’attendent pas que tu rappelles. En plus, ils le notent comme si tu l’avais travaillé. C’est n’importe quoi parce que tu n’es pas payé pour ces heures », explique Clément*, un pompier sur la liste des temporaires depuis sept ans.

Son confrère Édouard ajoute que le système d’attribution des heures « est planté depuis un an et demi. Alors on voit notre nombre d’heures travaillées dans l’année, mais on ne voit pas notre ratio. C’est hyper stressant. »

Comme la très grande majorité de ses collègues, il a deux emplois. « Tu dois te trouver un deuxième employeur qui te laisse partir n’importe quand, mais les autres employés ne trouvent pas ça drôle. Au final, j’ai deux emplois, mais je ne me sens à l’aise nulle part », laisse-t-il tomber.

Puis, en septembre dernier, tous les employés temporaires ont refusé de participer à la journée porte ouverte de la caserne de Chicoutimi-Nord. « Je n’allais quand même pas faire semblant devant les enfants que c’est l’fun être pompier ici. »

L’an dernier, les employés-cadres ont par ailleurs suivi une formation sur les nouvelles approches en matière de gestion des ressources humaines. Et le directeur du service, Carol Girard, a fait l’objet d’une enquête en 2021 menée par un bureau indépendant. Il a reçu un avertissement des plus hautes instances de la Ville, nous dit-on.

Alarmes générales

Pour les pompiers rencontrés, il est indéniable que l’incendie d’un immeuble à logements la semaine dernière dans le secteur de Kénogami nécessitait une alarme générale. « Mais ils préfèrent y aller par séquence juste pour sauver de l’argent. On se fait dire que ce n’est pas nous qui avons mis le feu », confie Gaston.

Selon la séquence, les trois premières alarmes sont pour les pompiers de garde en caserne. Les autres pour les temporaires et c’est seulement à la huitième alarme que les pompiers permanents sont rappelés. Une alarme signifie qu’entre 10 et 15 pompiers supplémentaires sont envoyés sur le terrain.

« Ç’a été la même affaire cet été pour l’ancien pensionnat à Jonquière. J’étais là et on le savait qu’il fallait “caller” tout le monde tout de suite. Mais ils l’ont fait par appels », se décourage Jean.

« Ils sont chanceux de ne pas avoir eu de morts dans l’ancien pensionnat et à Kénogami. En fait, ils sont chanceux qu’on se donne comme ça », nous dit Dominic.

« On est à effectifs réduits sur des feux ! Ce n’est pas normal et c’est juste pour économiser. On est 20 alors qu’à Montréal ou à Québec, ils seraient 70 pour le même feu », s’indigne Édouard. Les pompiers ajoutent que les premières trente à soixante minutes sont cruciales lors d’un incendie et que cette façon d’y aller par séquences pour les alarmes allonge le temps de réaction.

Il explique que, pendant le combat, les pompiers doivent utiliser des appareils respiratoires. Une bonbonne d’air a une durée de vie d’une quarantaine de minutes. « Normalement, tu utilises un cylindre et tu vas te reposer un peu. C’est extrêmement exigeant physiquement, combattre un feu. Ici, c’est toujours minimum deux cylindres parce qu’il n’y a personne pour te remplacer. »

Est-ce que ça compromet la sécurité des pompiers ? « Ils sont extrêmement chanceux qu’il ne soit jamais rien arrivé. On se rend à cinq cylindres parfois. Je l’ai déjà fait. T’es brûlé raide », répond ce dernier.

Ses collègues confirment son explication, ajoutant que, bien souvent, ils ne sont pas nourris sur un incendie. « C’est comme si on quêtait. On n’a même pas un sandwich après cinq heures de combat et t’être levé au milieu de la nuit. On se fait lancer une barre Cliff. Il y a certains boss qui partent chercher des cafés et des muffins, mais ils le payent de leur poche », s’indigne Jean.

Négociations en cours

Le Syndicat des pompiers de Saguenay est présentement en ronde de négociations avec la Ville de Saguenay pour le renouvellement de la convention collective de ses membres.

Appelé à commenter les témoignages de plusieurs pompiers, le président David Girard dénonce le modèle d’affaires élaboré pour les temporaires. « Je ne mentirai pas, c’est un sujet de discussion majeur. On est avec nos membres à 100 % et on comprend parfaitement leur point. Mon garçon me dirait qu’il veut être pompier à Saguenay et j’hésiterais pour qu’il vive ça. »

Il a également rapporté à plusieurs reprises à l’état-major le mauvais climat dans les casernes. Il comprend que plusieurs de ses collègues ont choisi de sortir de l’ombre pour en parler ouvertement.

Du côté de la Ville de Saguenay, on répond aussi que dans ce contexte de négociations, on préfère ne pas commenter ces allégations pour l’instant.

* Tous les prénoms utilisés sont fictifs.