« Il faut casser cette loi de l’omerta. C’est une mafia et tout est étouffé. On espère que le nouveau DG à la Ville va pouvoir changer les choses. » C’est pour cette raison que Renaud* a accepté de parler après huit ans au Service incendie de Saguenay. Il l’a toutefois fait sous le couvert de l’anonymat comme tous ses autres confrères, parce que les risques sont trop élevés.
Et des risques, ils disent en prendre inutilement à chaque incendie. « Il manque de permanents », explique Dominic. Le service compte 91 pompiers permanents et 40 temporaires. « On est toujours “ low staff ”. À la caserne #3, ils sont cinq au lieu de six. Ils (l’état-major) vont vous répondre qu’ils suivent le schéma de couverture de risques, mais ce n’est pas assez. »
La caserne #3, c’est celle de Chicoutimi. La #1 est située à Jonquière avec quatre pompiers de garde. La #2 (Arvida) en compte cinq, celle de Chicoutimi-Nord (#4) et celle de La Baie (#5) comptent quatre pompiers chacune.
Mais celle de Chicoutimi-Nord est bien souvent vide parce que les pompiers sont appelés à couvrir les autres secteurs.
« À Québec, ils sont huit par caserne même si le schéma de risques est à six aussi, alors ils sont toujours prêts à faire face aux imprévus. S’il en manque un le matin, ce n’est pas grave, les autres sont là pour palier. Les gars sont moins brûlés aussi après une intervention », ajoute Dominic.
Un système punitif
« Avant les Fêtes, on a une rencontre avec les chefs de division. Si on ose parler de notre mécontentement, la seule réponse qu’on reçoit c’est, “ tu n’as qu’à aller voir ailleurs ”. Ça en dit long sur notre valeur au sein du service », raconte Renaud.
Son collègue Étienne abonde dans le même sens. « On se fait dire : “ Avec votre statut, vous avez déjà un pied dans la porte ”. Aujourd’hui, la direction fait plus attention à ce qu’elle dit, mais le climat ne s’est pas amélioré. »
Il ajoute que les chefs ont déjà profité de cette rencontre annuelle pour distribuer des lettres d’avertissement à ceux qui avaient des comportements soient disant mauvais.
« Il y a tellement eu d’enquêtes administratives abusives au fil du temps, souligne Jean. Dans plusieurs cas, c’était carrément de l’acharnement. » Certains ont voulu raconter les raisons pour lesquelles ils ont été ciblés par une enquête, mais d’autres non, mentionnant qu’ils se feraient immédiatement pointer du doigt par l’état-major.
Pour les pompiers, il est clair que tout part du système d’attribution des heures pour les employés temporaires qui fait en sorte qu’ils sont de garde 24 heures sur 24, sept jours sur sept.
Selon cette façon de faire, ces 40 employés sont tous sur le même pied d’égalité et la notion d’ancienneté n’existe pas. Ainsi, au bout de l’année, ils doivent tous avoir reçu le même nombre d’heures, qu’ils soient à l’emploi depuis six mois ou 15 ans.
« Il est là le problème ! À l’embauche, ils nous font miroiter un maximum de cinq ans comme temporaire, mais en réalité la moyenne est de 18 ans. Ça ne marche pas. Pendant ce temps-là, tu as des enfants, une conjointe, une maison et tu dois te prendre une deuxième job pour arriver. Il y a des années où je gagne moins que le salaire minimum comme pompier », souligne Renaud.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/3CJ3ZELWMVEKJBVPEXLU66JYTQ.jpg)
Les temporaires qui se sont confiés au Quotidien ont tous été embauchés il y a plus de cinq ans et même 10 dans certains cas.
« On pogne notre mur après cinq ans. On se rend compte qu’ils se soucient plus de leur prochaine embauche que de nous. Il y a trois ou quatre ans, la Ville a publié son offre d’emploi sur Facebook pour le service incendie. Il y en a un qui a mis en commentaire que c’est une belle job si tu veux être temporaire pendant 20 ans. Il a été suspendu », poursuit-il.
La plus grande crainte dans ce système est de « perdre un rang », soit de reculer sur la liste. Les employés temporaires doivent répondre à au moins 60 % des appels qu’ils reçoivent pendant l’année, sans quoi, ils sont sanctionnés.
« Cette année, je vais sûrement en perdre un. Présentement, un rang dans la liste équivaut à deux ans de recul. Et je vais le perdre parce que j’étais seul à la maison une nuit avec les enfants, alors je n’ai pas pu répondre présent quand ils m’ont appelé pour un feu. Je ne suis pas le seul à qui ça arrive. On est sur le bord d’amener nos enfants à la caserne en pleine nuit pour leur montrer que c’est vrai », s’insurge Éric.
D’autres collègues ont dû se rendre à l’urgence pour avoir un papier du médecin prouvant qu’ils étaient malades la journée où ils n’ont pas répondu au quota d’alarme. « On va engorger le système de santé pour ça, parce qu’on n’est pas cru et qu’il y a une enquête administrative », souligne Édouard.
Règles abusives
« Et là, on ne vous parle même pas des règles complètement abusives. À Sherbrooke et ailleurs, ils vont faire le déjeuner des pompiers. Ils donnent des bonbons aux enfants dans les rues à l’Halloween et participent à des collectes de fonds. Ici, on ne peut pas. C’est toujours non », mentionne Clément.
Plusieurs nous racontent qu’au tout début de la pandémie, certains ont pris l’initiative de peindre un arc-en-ciel dans les vitres de la caserne. Ils se sont fait dire de tout effacer sous peine d’enquête et de sanction.
« Dans les autres casernes du Québec, ça joue au basketball ou au spikeball quand toute la job est faite. Ici, on n’a pas le droit. Il y a deux semaines, on a amené un spikeball, une journée plus tard il y avait une note de service pour l’interdire », raconte Vincent.
Un autre nous dit qu’il « court en cachette autour de la caserne parce que c’est interdit. » Un pompier plus ancien a connu une époque où il y avait des tables de ping-pong et de billard dans les casernes. « C’était l’fun. Tu restais éveillé en jouant à ça et on avait un esprit d’équipe qui se développait. Là, on est tous assis à regarder nos téléphones. »
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/4FIXEMQ66RENRIEAXOQKQMPI6Y.jpg)
Il y a aussi eu l’histoire « des shorts », nous ont raconté quelques pompiers. « Ça faisait des années qu’on demandait de pouvoir porter des shorts l’été, mais c’était non. L’été dernier, la mairesse est venue dans la caserne et elle nous a demandé pourquoi on était en pantalon à cette chaleur-là. On lui a dit que c’était la décision du directeur qui était juste à côté d’elle. Il n’a pas eu le choix de changer le règlement. »
D’autres expliquent que tous les lundis et les vendredis, ils doivent laver les véhicules des directeurs. « C’est super dégradant. On lave leur véhicule de service et on tasse les bancs d’auto des enfants pour ramasser les Cheerios qui traînent par terre. Ils se servent de leur véhicule toute la fin de semaine aux frais des contribuables et nous on manque de monde quand il y a un feu. »
Un retraité se rappelle qu’à une certaine époque, la direction du service incendie changeait aux cinq ans. « Avec le recul, c’était une bonne chose. Ça amenait de nouvelles idées. »
*Tous les prénoms utilisés sont fictifs.