Chronique|

Des requins blancs qui s’échouent? Pas si étonnant!

SCIENCE AU QUOTIDIEN / «Plus je regarde la photo du requin qui s’est échoué à North Sydney à la fin d’octobre, plus j’ai du mal à croire qu’il s’agit bien d’un requin blanc (Carcharodon carcharias). Sans être un expert je serais tenté d’y voir plutôt un Requin mako (Isurus oxyrinchus). Les deux espèces sont apparentées et souvent confondues. La forme du spécimen échoué me semble trop allongée pour être celle d’un requin blanc, et son œil est proportionnellement plus gros», fait remarquer Claude Coulombe.


Il est vrai qu’à première vue, ce requin a clairement «une gueule de mako», si l’on me prête l’expression. J’ai fait un petit montage ci-dessous avec la photo publiée par la plupart des médias (dont Le Soleil) et deux images que M. Coulombe m’a envoyées pour appuyer sa position. Et l’on comprend aisément ses doutes : la forme du spécimen de North Sydney est beaucoup plus allongée que celle du requin blanc adulte, et beaucoup plus proche de celle d’un mako.

Mais voilà, ce n’est pas sans raison que les deux espèces sont souvent confondues : elles se ressemblent beaucoup, surtout quand les requins blancs sont encore juvéniles, et c’est le cas celui de North Sydney. Sur son site web, le Shark Lab de l’Université d’État de Californie à Long Beach explique que «comme tous les poissons, les requins blancs grandissent continuellement tout au long de leur vie, mais leur croissance en longueur ralentit avec l’âge alors qu’ils prennent plus de corpulence».

Un peu comme les humains, quoi. Mais n’allons pas là…

En ce qui concerne nos identifications d’espèces, cela implique que la forme des requins blancs juvéniles (environ 2m de long) peut être très semblable à celle d’un mako. Il faut donc se méfier des image de requins blancs adultes quand on tente de départager les deux. Il y a cependant d’autres clefs d’identification qui peuvent être utilisées et qui sont plus fiables. «La morphologie générale, la couleur de la peau, les yeux, le premier aileron dorsal, et surtout les dents (...) sont relativement simples à distinguer par un observateur habitué», indique  le directeur scientifique de l’Observatoire des requins du Saint-Laurent, Jeffrey Gallant.

La photo que Le Soleil avait publiée le mois dernier ne le montrait pas, mais des gens sur place ont pris des images, dont la résidente de Nouvelle-Écosse, Laura Brophy — que je remercie d’ailleurs d’avoir accepté de les partager pour cette chronique.

Les dents, donc... Celles des requins blancs sont triangulaires et droites avec une base assez large, alors que celles des makos sont nettement plus fines et recourbées.

Encore ici, cependant, il faut se méfier des écarts entre requins adultes et juvéniles. «Les dents du requin blanc juvénile sont toutefois plus étroites (moins triangulaires), et un peu plus semblables au taupe-bleu [autre nom du mako, ndlr], que chez le blanc adulte», avertit M. Gallant. On le voit dans ce «guide d’identification» du ministère de la conservation de Nouvelle-Zélande. Une fois que l’on a ça en tête, les dents photographiées par Mme Brophy semblent assez clairement être celles d’un requin blanc parce qu’elles sont triangulaires et droites.

Une autre caractéristique qui permet de distinguer les «blancs» des makos est la position de certaines nageoires. Comme on peut le voir sur cette image du Ministère de la faune de Californie qui compare différentes espèces, chez le requin blanc la nageoire dorsale commence au-dessus (plutôt vers l’arrière, mais au-dessus quand même) de la nageoire pectorale. Chez le mako, la dorsale commence complètement en arrière de la pectorale et ne la chevauche pas du tout. Or sur les photos de Mme Brophy, le début de la dorsale est clairement au-dessus de la pectorale, ce qui correspond à un requin blanc.

Il aurait été intéressant de pouvoir voir les nageoires sur la queue de l’animale puisque chez le requin blanc, la seconde dorsale est un peu décalée vers l’avant par rapport à la nageoire anale (sous la queue), alors qu’elles sont vis-à-vis chez le mako, mais les images prises par Mme Brophy ne le montrent pas. Quoi qu’il en soit, ces images (ainsi que l’avis des vrais experts, dont je ne fais pas partie) montrent de manière convaincante que c’est bel et bien un requin blanc qui est mort sur la berge à North Sydney.

Cela dit, les deux requins qui se sont échoués dans les Maritimes en peu de temps ne constituent peut-être pas le «mystère» que bien des médias ont décrit, dénonce M. Gallant. On ne sait pas encore ce qui a causé la mort de ces deux gros poissons cet automne dans le Golfe, mais «des indices importants, dont la condition quasi-intacte des deux carcasses, laissent présager que ces jeunes requins encore malhabiles auraient simplement pu s’échouer de façon accidentelle alors qu’ils chassaient en eaux peu profondes. (…) Si la présence d’un virus s’avère négative, on pourra ainsi parler de cause probable, et non de mystère», explique le biologiste.

D’ailleurs, poursuit-il, ce genre d’événement n’est pas aussi rare que ce que certains articles de presse ont laissé entendre. M. Gallant a recensé après une brève recherche quatre cas de requins blancs échoués dans l’est de l’Amérique juste cette année. Il y en a trouvé au moins deux autres documentés autour de Cape Cod (Massachussetts) en 2020, un à Point Lepreau (Nouveau-Brunswick) en 2019 et un autre à Parrsboro (Nouvelle-Écosse) en 2015.

Ce à quoi j’ajouterais un autre dans la région de Boston en 2015, et plusieurs autres en Californie au cours des dernières année (voir ici, ici, ici, ici et ici).

Alors le simple fait de trouver deux requins échoués dans les Maritimes en seulement quelques semaines n’est pas, en soi, le signe qu’il se passe quelque chose d’anormal. Sous réserve de ce que l’autopsie révèlera, cela peut juste être un signe que la population de requins blancs qui vient passer l’été dans le Golfe est en croissance — ce qu’on savait déjà.

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