Dédommager les détenus envoyés au trou trop longtemps

Les détenus et ex-détenus qui ont subi un isolement de plus de 15 jours dans un pénitencier fédéral ont jusqu’au 7 novembre pour faire une réclamation.

« Le trou m’a transformé en animal. Il m’a rendu extrêmement dangereux. »


Isoler un détenu au trou durant plus de 15 jours consécutifs a été jugé abusif selon les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, et se compare à un acte se rapprochant de la torture. Le gouvernement fédéral doit maintenant verser 28 millions de dollars en compensations financières. Les détenus et ex-détenus qui ont vécu l’isolement durant de longues périodes ont jusqu’au 7 novembre pour réclamer leur part.

Jusqu’à maintenant, seulement 40 % des gens visés par ce recours collectif ont fait leur demande d’indemnisation. Au Canada, environ 15 000 personnes seraient admissibles, dont 4000 au Québec. Toute personne ayant fait de l’isolement entre 2009 et 2019 dans un pénitencier au fédéral peut être admissible.

Ce recours collectif est le résultat d’une longue bataille devant les tribunaux pour le droit des détenus, un sujet encore tabou et dont on parle peu.

Deux juges de la Cour d’appel ont statué que l’isolement de plus de 15 jours consécutifs violait les droits fondamentaux des détenus et le gouvernement du Canada doit maintenant dédommager ceux qui l’ont subi. L’isolement, communément appelé le trou, se définit par un confinement de 22 ou 23 heures sur 24 dans une cellule prévue à cet effet. Avant le jugement rendant l’isolement de 15 jours et plus illégal, il n’y avait aucune durée limite pour un détenu envoyé au trou.

« On parle en moyenne de séjours de 58 jours au trou, mais ça peut être beaucoup plus aussi », explique Me Marianne Dagenais-Lespérance, du cabinet Trudel Johnston & Lespérance, chargé du recours collectif.

Me Marianne Dagenais-Lespérance, du cabinet Trudel Johnston & Lespérance ­

10 années en isolement

C’est d’ailleurs le cas de Dany, un homme de la Côte-Nord qui a jadis été condamné à deux peines de sept ans de pénitencier. Dans une entrevue accordée au Quotidien, l’homme de 57 ans, libre depuis 11 ans maintenant, confie avoir passé une dizaine d’années en isolement, sur les 14 qu’il a purgées derrière les barreaux.

L’individu, condamné pour des dossiers de menaces, de trafic de stupéfiants, de voies de fait contre un autre détenu et une agression sexuelle, explique avoir été envoyé la première fois au trou dans un pénitencier du Nouveau-Brunswick parce qu’il déposait plainte sur plainte contre les services correctionnels. Il a ensuite été longuement isolé après avoir « planté un autre détenu », raconte-t-il. Puis, le reste de ses sentences, purgées dans plusieurs pénitenciers différents, a été une suite d’isolements sans fin, selon ses dires. « Sur 14 ans, j’en ai passé 10 au trou ! On m’a dit que j’étais un record au pays ! », lance-t-il, au bout du fil.

Et quelles séquelles lui ont laissées tant d’années en isolement ?

« Ça m’a transformé en animal. En sortant de là, j’étais comme une bombe. J’étais extrêmement dangereux. J’aurais pu tuer », confie l’homme, dont la rage remonte visiblement à la surface en parlant de son expérience.

Il raconte que durant l’un de ses séjours au trou, il a rongé son pouce au point d’être conduit à l’infirmerie de la prison, puisqu’il perdait trop de sang.

Aujourd’hui, Dany dit aller beaucoup mieux. Celui qui a passé le temps au trou en lisant notamment 11 fois la Bible travaille dans sa région, la Côte-Nord, et dit couler des jours paisibles.

Des abus cachés

Pour l’avocate Marianne Dagenais-Lespérance, le sort des détenus reste un sujet dont on ne parle pas beaucoup. « C’est assez caché, mais c’est important de parler de ce qui se passe derrière les murs, parce qu’il y a eu des abus. Et les personnes qui sortent de prison n’ont pas toujours les moyens de défendre leurs droits. C’est pourquoi un tel recours collectif est important », note l’avocate.

Les ex-détenus et les détenus de pénitencier qui pensent être admissibles à une compensation doivent avoir subi le préjudice entre 2009 et 2019 pour ceux qui souffraient alors de problèmes de santé mentale et de 2011 à 2019 pour les détenus qui n’en souffraient pas. Les réclamations peuvent tourner autour de quelques milliers de dollars, allant jusqu’à 100 000 $ pour les cas les plus graves.

Jusqu’au 7 novembre

Il est possible de faire la demande à l’adresse isolementrecoursccollectiffederal.ca ou d’obtenir de l’aide en composant le 1 855 552-2723. Le compteur tourne, puisque les demandes peuvent être envoyées jusqu’au 7 novembre. Après quoi, il sera trop tard.