Comme je l’ai mentionné dans ma récente chronique sur Jeffrey Dahmer et les tueurs en série, nous aimons parfois jouer à avoir peur (ou jouer avec nos peurs). Cela peut sembler étrange, voire contradictoire, car la peur n’est a priori pas une émotion très agréable à ressentir. Alors si nous nous exposons volontairement à la peur, c’est forcément que cette émotion est utile.
La peur est un instinct de conservation, il est donc nécessaire de s’assurer qu’elle « fonctionne bien », si je puis dire. Mais dans un environnement sécuritaire et contrôlé, évidemment, un peu comme un exercice d’évacuation en cas d’incendie. Nous nous exposons volontairement à des situations qui font peur, de sorte qu’en cas de menace réelle, nous soyons en mesure de réagir convenablement.
En nous tournant vers la théorie de l’évolution, nous pouvons obtenir certaines réponses sur les origines et le rôle de la peur. La chair de poule, par exemple, est un vestige de l’évolution qui évoque cette stratégie défensive (d’intimidation) qui consiste à hérisser ses poils pour avoir l’air plus menaçant. Dans le même ordre d’idée, nous sommes aussi programmés biologiquement pour craindre certains animaux, en particulier les insectes. Bien que ça ne soit pas toujours le cas, ceux-ci constituent une menace éventuelle, il est donc préférable de s’en méfier.
La peur est une réaction physiologique également connue sous les termes de « réponse combat-fuite ». Elle apparaît à la suite de l’analyse d’un danger réel ou présumé. Cela peut sembler étonnant, mais elle peut aussi être générée par un afflux d’émotions diverses telles que la joie, la tristesse et la colère. C’est pourquoi elle peut produire une multitude de réactions et de comportements différents, selon les circonstances. Crier, par exemple, est une réaction parmi tant d’autres lorsque nous sommes confrontés à une menace.
Mais parmi les réponses possibles du corps face à un danger, celle qui je trouve la plus surprenante est la paralysie ou la perte de conscience. Vous avez probablement tous déjà vu cela dans un film d’horreur. Un personnage tombe nez à nez avec une créature menaçante et plutôt que fuir à toutes jambes, il reste figé sur place. Cela peut sembler absurde, mais cette stratégie peut parfois se révéler efficace. Face à un ours, par exemple, faire le mort n’est-il pas la meilleure chose à faire ? Pas si fou, finalement.
Bien souvent, il nous arrive d’avoir peur pour rien, car la peur agit avant tout de manière préventive, exactement comme votre détecteur de fumée. Mais c’est une bonne chose, non ? Mieux vaut un détecteur de fumée si sensible qu’il lui arrive parfois de s’alarmer pour rien qu’un détecteur de fumée insuffisamment sensible qui ne part pas lorsqu’il y a véritablement le feu.
Bref, vous l’aurez compris, contrairement à certaines idées reçues, la peur n’est pas une émotion « négative ». Du moins, pas toujours. Car si elle peut s’avérer utile et pertinente, la peur a effectivement aussi un côté obscur et peut nous emmener à adopter des comportements inadaptés ou dévastateurs. La xénophobie en est un bon exemple. A priori, c’est normal de se méfier de ce que nous ne connaissons pas (de ceux que nous ne connaissons pas, donc), mais il faut cependant veiller à ce que cette méfiance ne se transforme pas en rejet, voire carrément en hostilité. C’est pourquoi il faut apprendre à contrôler (doser) sa peur, ce à quoi « jouer à avoir peur » nous prépare très bien.
Profitez donc de cette fête d’Halloween pour vous entraîner à « apprivoiser votre peur ».
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Sébastien Lévesque enseigne la philosophie au Cégep de Jonquière depuis 15 ans. Celui qui est surtout intéressé par les questions relatives à l’éthique et à l’épistémologie des sciences publie des textes de façon régulière dans Le Quotidien depuis plus de 20 ans. Avec ses chroniques, il cherche notamment à faire la promotion de la pensée rationnelle et critique.