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Sauver les microbes pour sauver la planète!

CHRONIQUE / C’est en 1986 qu’Edgar O. Wilson, un célèbre entomologiste de l’Université Harvard, a créé le terme biodiversité pour représenter la diversité des espèces vivantes sur la planète. Depuis, l’expression a fait son chemin et acquis une valeur universelle. 


La protection de la nature est devenue synonyme de maintien de la biodiversité. Il y a même une Convention des Nations Unies issue du Sommet de la Terre de Rio en 1992 qui s’occupe de la question (son secrétariat est à Montréal). Mais où et comment se manifeste la biodiversité?

La diversité du vivant se retrouve à trois niveaux. Si on les prend du général au particulier, on parle d’abord de la diversité à l’échelle du paysage. Souvent influencée par la topographie, la diversité des écosystèmes sur un même territoire offre une variété de microclimats ou des zones de transition qui permettent de répondre aux besoins d’habitat d’un plus grand nombre d’espèces. En effet, les plantes et les animaux ont des préférences d’habitat qui sont quelquefois des exigences. Plus le paysage est varié, plus on a de chances de remplir les conditions pour accueillir une diversité d’espèces.



C’est ce deuxième niveau, la diversité spécifique, qui est le plus connu et qui fait l’objet des mesures de protection légales. L’idée de base est la suivante : plus il y a d’espèces présentes sur un territoire, plus l’écosystème sera riche et productif. La notion d’espèce, en biologie, représente « un ensemble d’individus qui se ressemblent plus entre eux qu’ils ne ressemblent à aucun autre, qui peuvent se reproduire et donner une descendance fertile ». C’est une conception large qui présente toutefois des limites. Le Renne européen et le Caribou d’Amérique du Nord font partie de la même espèce, mais sans l’intervention humaine, ces populations ne peuvent pas se reproduire entre elles parce que le passage de la Béringie, qui réunissait les continents américain et eurasien il y a moins de 20 000 ans, est aujourd’hui recouvert par la mer. Certaines espèces se créent ainsi à la faveur de l’isolement de populations de plantes ou d’animaux pendant de très longues périodes de temps, souvent des centaines de milliers d’années, au terme desquelles elles ne peuvent plus se reproduire entre elles et donner des descendants fertiles. Mais la notion d’espèce, si elle s’applique aux animaux et aux plantes, est beaucoup plus difficile à appliquer aux bactéries, virus et autres qui forment le microbiote.

Le troisième niveau est celui de la diversité génétique ; c’est l’ensemble des variations du génome des espèces qui se retrouvent au sein d’un même écosystème. Ces variations sont échangées lors de la reproduction sexuée et leurs combinaisons assurent que les espèces puissent résister à des variations dans les conditions du milieu dans le temps.

La plupart des microorganismes se reproduisant de façon asexuée et s’échangeant du matériel génétique entre espèces. Ils forment des communautés dont la biodiversité est unique à très petite échelle. On pense même que ce qui caractérise les vieilles forêts ce ne sont pas nécessairement les vieux arbres, mais les assemblages de microbes et autres organismes qui colonisent les dendromicrohabitats.

Un article paru récemment dans Nature Microbiology a attiré mon attention sur un autre indicateur de l’importance de la biodiversité microbienne. Les chercheurs constatent que la biodiversité microbienne des sols est en péril et qu’il faudrait prendre des mesures pour la protéger et la restaurer. Le microbiote des sols est particulièrement affecté par des pratiques culturales qui tendent à uniformiser les souches microbiennes. Pourtant, une revue de 80 études montre qu’en respectant ou en restaurant la diversité du microbiote naturel des sols, on peut augmenter la productivité des cultures et des plantations d’arbres de 64 % en moyenne.



Les microbes sont les premiers organismes qui sont apparus sur notre planète et ce seront les derniers qui en disparaîtront. Leur biodiversité est au moins un million de fois plus grande que celle des espèces de plantes et d’animaux réunies. Ils sont impliqués dans les grands cycles biogéochimiques qui permettent de recycler les éléments minéraux qui circulent entre les quatre compartiments de l’écosphère. Pourtant, peu de gens semblent se préoccuper de leur préservation et de leur mise en valeur.

Il faut un énorme effort de recherche à l’échelle mondiale pour mieux connaître et comprendre les communautés de microbes. J’espère qu’on en parlera lors de la Conférence des parties à la convention sur la diversité biologique qui se tiendra à Montréal du 7 au 19 décembre prochain.

Biologiste, professeur titulaire au département des sciences fondamentales et directeur de la Chaire en Éco-Conseil de l’UQAC, Claude Villeneuve a été mainte fois primé pour son travail en environnement et sa contribution à l’avancement du développement durable au Québec comme à l’échelle mondiale. Auteur de 13 livres, il cumule plus de 500 chroniques au sein des Coops de l’information.