Chronique|

La rétinite pigmentaire de la CAQ sur le 3e lien

Même si on prévoit une baisse de la population en âge de travailler dans la région métropolitaine de Lévis d’ici à 10 ans, un troisième lien entre cette ville et Québec reste nécessaire, selon la CAQ.

CHRONIQUE / Définition simple de la vision en tunnel, trouvée sur Wikipédia : «Perte de vision périphérique avec rétention de la vision centrale, résultant en une vision circonscrite et circulaire du champ de vision.»


C’est ainsi que gouverne la CAQ.

Et avec le troisième lien, ça frôle la rétinite pigmentaire, une maladie dégénérative qui réduit graduellement le champ de vision. On savait François Legault et ses ministres capables de faire abstraction de la science et de la réalité, mais ses contorsions pour continuer à marteler la nécessité d’un tunnel entre Québec et Lévis sont du jamais-vu.

Pas d’études? Pas grave, le tunnel sera creusé peu importe ce qu’elles diraient et de toute façon, le maire de Lévis, Gilles Lehouillier, est certain qu’elles seront favorables.

Il n’en faut pas plus pour dépenser 6,5 milliards.

Remarquez, le gouvernement Legault trouve ça parfois pratique de faire des études lorsqu’il a besoin de gagner du temps, comme il l’a fait avec fonderie Horne à Rouyn-Noranda, quand tout le monde savait, quand il y avait déjà des études disponibles qui faisaient état des dangers de l’arsenic et des concentrations trop élevées dans l’air de la ville.

Pas de panique, étudions la question.

Mais pour le tunnel, pas besoin d’études, peu importe si les dernières projections de l’Institut national de la statistique basées sur le vieillissement de la population indiquent que dans 10 ans, qui est la mise en service projetée dudit tunnel, il y aura à peine un peu plus de travailleurs que maintenant qui traverseront de la rive-sud vers la rive-nord.

Peu importe que des scientifiques s’inquiètent des conséquences sur l’environnement, le gouvernement réplique que des autos électriques y circuleront. Au diable les études, de vraies études qui existent, qui démontrent qu’inexorablement, le troisième lien sera tout aussi congestionné que les deux autres.

Dans son champ de vision réduit à la taille du chas d’une aiguille, le premier ministre en est rendu à justifier ce projet démesuré en disant simplement «on a besoin d’un troisième lien et nous, ben, on pense qu’il faut que la meilleure solution est un tunnel à quatre voies», même sans savoir où il débouchera des deux côtés du Saint-Laurent ni par où passeront les milliers d’automobiles qui aboutiront quelque part au centre-ville de Québec.

En désespoir de cause, il devra peut-être se résigner à demander une caution scientifique au Directeur national de la santé publique pour obtenir un avis contraire au consensus des experts, comme pour augmenter les seuils de nickel à Québec ou pour justifier des décisions qui faisaient son affaire durant la pandémie.

Ça me rappelle quand mes gars étaient dans leur passe des «pourquoi» et que, à court de réponses, j’essayais de m’en sortir avec «parce que parce que». Ça ne fonctionnait évidemment pas, comme ça ne fonctionne pas avec le gouvernement de la CAQ, qui a l’air de juste vouloir qu’on arrête de poser des questions sur le tunnel.

François Legault a sorti son «parce que parce que» mardi, il a dit que c’était une «décision politique», fin de la discussion.

Ça ne convainc évidemment pas le maire de Québec, Bruno Marchand, qui devrait se réjouir pourtant qu’un gouvernement veuille investir des milliards pour sa ville, mais qui est toujours incapable de se prononcer tant il reste de questions en suspens.

Il ne demande qu’à être convaincu.

Un autre qui devra l’être, c’est le gouvernement fédéral, parce que le Québec a besoin du chéquier d’Ottawa pour payer une partie de la facture. Et, jusqu’ici, la position du gouvernement Trudeau ressemble à celle du maire Marchand, quelque chose comme «on se prononcera lorsqu’il y aura un véritable projet sur la table», pas juste de jolis dessins et de petites vidéos promotionnelles.

Le 29 avril dernier, le premier ministre Justin Trudeau a dit : «Je sais que le projet est en train encore de se fignoler. […] Notre priorité, c’est toujours au niveau du transport collectif et ça va rester à ce niveau-là.» Ce à quoi François Legault avait tout de suite répliqué qu’«aux heures de pointe, il y aura deux voies sur quatre, donc la moitié des voies, qui seront pour le transport collectif.»

Alors on ferait tout ça pour ajouter une seule voie pour les véhicules sur huit kilomètres dans chacune des directions pour désengorger les ponts?

Vraiment?

Dans sa vision en tunnel, le gouvernement caquiste ne s’enfarge donc pas dans ce genre de «détails» tant que les électeurs continuent à penser que son troisième lien est la solution magique pour diminuer le trafic. Il devrait d’abord commencer par s’occuper du Pont Pierre-Laporte et essayer de dénouer l’impasse pour le Pont de Québec.

Mais rafistoler des ponts, c’est moins vendeur.

Je suis allée voir les exigences que le gouvernement impose à ceux qui espèrent obtenir un permis de garderie. La première chose qu’on leur demande avant d’aller plus loin, c’est simple et logique, c’est de «démontrer à la satisfaction du ministre, la faisabilité, la pertinence et la qualité de son projet».

Ça serait un minimum pour un projet de six milliards, non?