Qu’on me comprenne bien, je ne dis pas que ces politiciens n’ont pas le droit de citer, mais simplement qu’ils tendent à introduire une dynamique potentiellement malsaine dans notre paysage politique. De manière plus ou moins assumée, les Duhaime et les Poilievre de ce monde sont devenus les dépositaires d’un discours acerbe et revanchard. Ils incarnent la grogne populaire et le cynisme à l’égard du monde politique. En soi, ce n’est pas une mauvaise chose, mais encore faut-il le faire de manière responsable. Car si la grogne doit bel et bien trouver son chemin jusque dans nos institutions, celle-ci doit avant tout être canalisée. Autrement dit, la grogne doit être transposée en idées claires et sensées.
Plus que tout, ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est de retrouver l’art du dialogue, c’est-à-dire la capacité de débattre sainement en dépit des désaccords. Et à ce titre, force est de constater que les réseaux sociaux ont rapidement rencontré leur limite. Facebook et Twitter sont de formidables canaux de communication, mais ils sont rapidement devenus de véritables défouloirs. Le problème, c’est que les mécontents ne se contentent plus d’exprimer leur mécontentement, ils versent carrément dans le mépris et l’insulte. Difficile de leur en vouloir quand certains politiciens versent eux-mêmes dans ce fâcheux travers.
Mais pour en revenir à Éric Duhaime, il faut néanmoins admettre que les médias ne sont pas toujours tendres à son endroit. J’ai beau ne pas être particulièrement sympathique à sa cause et à ses idées, il m’arrive de ressentir moi-même un certain malaise face au sort qui lui est réservé lors de certaines entrevues. Alors qu’on offre généralement aux chefs de parti la chance d’expliquer leur programme, monsieur Duhaime doit quant à lui composer presque exclusivement avec des questions « à charge ». Bref, on sent bien que l’arrivée de ce nouveau joueur sur la scène politique québécoise agace non seulement ses adversaires, mais aussi certains journalistes et commentateurs politiques. C’est de bonne guerre, diront certains, sauf que je doute que le public ressorte gagnant de tout ça. C’est ni plus ni moins notre climat social et politique qui est en cause ici.
À mon avis, ce serait donc une erreur de chercher à réduire ou à ridiculiser Éric Duhaime et la mouvance sociale et politique qu’il incarne. Que cela nous plaise ou non, son style et ses idées font désormais partie de notre paysage politique. Reste à voir si leur institutionnalisation permettra de les adoucir – un peu à la manière de Québec solidaire, qui tend à « recentrer » son discours au fur et à mesure qu’il s’approche du pouvoir. Mais en lui faisant la vie dure, les médias jouent selon moi un jeu dangereux, car cela risque de donner des munitions à ses partisans qui considèrent que le système est « brisé ». Cela pourrait même en faire une sorte de « martyr de la vérité ».
Individuellement et collectivement, nous avons donc la responsabilité de calmer le jeu afin de prévenir d’autres dérapages comme ce à quoi nous avons assisté en début de campagne électorale. Que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la « vraie vie », il ne faut pas céder à la tentation de répondre à l’insulte par l’injure, ou encore à l’agression par la proscription. Il nous faut plutôt apprendre à faire face à l’adversité et à accepter ce que j’aime appeler un « sain désaccord ». Plus facile à dire qu’à faire, évidemment, mais ce sera possible si nous renouons avec les valeurs démocratiques fondamentales que sont la liberté et la tolérance.