Retournons à ma chronique du 10 octobre 2020, dans laquelle j’abordais justement l’épineuse question de la place de l’adjectif épithète. Dans la langue de Molière, l’adjectif peut se mettre devant ou derrière le nom auquel il se rapporte, contrairement à la langue de Shakespeare, où il s’écrit toujours devant.
Malheureusement, les règles qui régissent la place de l’adjectif en français sont multiples et très compartimentées, tellement qu’il m’avait été impossible de toutes les énumérer. Tentons quand même de trouver laquelle s’applique dans ce cas-ci.
De prime abord, Espacefrançais.com semble avoir raison : lorsqu’on lit la définition de «royal» dans le Petit Robert, le Petit Larousse et Usito, on constate que l’adjectif, dans tous les cas illustrés, se trouve après, peu importe si l’on parle d’une famille royale, d’une cour royale, d’un palais, d’une voie, d’une monnaie, d’une gendarmerie, d’un aigle, d’un cobra ou d’une gelée.
Mais vous vous doutez bien que je n’en suis pas resté là. Je me suis tourné vers le Trésor de la langue française, qui, dès la première définition, nous donne un exemple que je soupçonnais, soit que l’adjectif «royal» puisse se placer devant le nom dans la langue littéraire.
Ainsi, dans sa pièce «Henri III et sa cour», Alexandre Dumas père a fait dire au personnage de Catherine de Médicis : «Venez demain […] et un bon de notre royale main [...] vous prouvera que nous ne sommes ni oublieuse ni ingrate.»
Derrière le Croate
Mais la réponse que vous cherchez se trouve un peu plus bas : on apprend que «royal» est employé comme «premier élément de composition dans certaines dénominations militaires». Dont celle des… régiments!
Ainsi, en France, du XVIIe au XIXe siècle, le Royal-Cravate était un «régiment de cavalerie français formé, en 1643, avec des soldats croates ["cravate" étant ici une déformation de "croate"]».
Il y a eu également le Royal-Auvergne, le Royal-Bourgogne et le Royal-Allemand. Ces régiments n’existent plus aujourd’hui, certains ayant été renommés quand la France est passée de la monarchie à la république. Car sans royauté, plus aucun régiment français n’a eu besoin de l’adjectif «royal».
En résumé, l’appellation de «Royal 22e Régiment» est à classer (si vous retournez à ma chronique) dans la catégorie des formules consacrées. Mais comme il s’agit d’une tournure ancienne et désuète, elle peut laisser l’impression d’être fautive ou calquée sur l’anglais. Le TLFI nous démontre toutefois qu’elle est tout à fait française.
Quant au Canadien National, le nom complet de cette société en anglais est la Canadian National Railway Company (en français, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada). «Canadian National» est une ellipse, adoptée par la compagnie mais aussi par la population.
Dans «Canadian National», nous ne sommes donc pas en présence d’un adjectif et d’un nom, mais de deux adjectifs. D’où la traduction littérale «Canadien National».
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«Je me questionne depuis longtemps sur l’utilisation du mot "retraiter", par exemple dans la description de matchs de hockey. Il est souvent employé pour indiquer que le joueur est retourné dans le vestiaire. S’agit-il d’un bon usage? Merci pour votre éclairage [Hélène Beaulieu, Québec].»
Aux dernières nouvelles, la seule définition acceptée du verbe «retraiter» est «traiter de nouveau». On s’en sert dans des contextes très techniques, comme l’industrie minière, la comptabilité, la transformation des plastiques et l’énergie nucléaire, apprend-on dans le Grand dictionnaire terminologique.
Il existe effectivement un verbe anglais «to retreat» mais mon Robert & Collins m’indique clairement qu’on ne peut le traduire littéralement par «retraiter». Il faut plutôt dire «se retirer», «battre en retraite». Dans une partie d’échecs, le terme usuel est «ramener», et lorsqu’il est question d’un glacier ou d’une inondation, on privilégie «reculer».
Ça ne signifie par que le verbe «retraiter» ne sera jamais accepté dans le sens que vous évoquez, mais pour l’instant, nous avons tous les verbes nécessaires en français pour exprimer l’idée de battre en retraite.
Malheureusement, la plupart des commentateurs sportifs, journalistes et autres communicateurs n’ont pas toujours un dictionnaire anglais-français à portée de main et prennent le chemin le plus court pour traduire. Un rappel que la traduction est véritablement un métier en soi.
Perles de la semaine
Les perles du bac 2022 sont arrivées. Voici celles de l’épreuve de philosophie.
La liberté consiste-t-elle à n’obéir à personne?
«Comme le disaient les anarchistes : "Ni dieu ni mètre."»
Les pratiques artistiques transforment-elles le monde?
«Le maquillage est de l’art, car dans l’émission "Incroyable transformation", la maquilleuse transforme le look des personnes moches.»
Revient-il à l’État de décider de ce qui est juste?
«Si je trouve juste de rompre avec ma petite amie parce qu’elle est agaçante, c’est à moi de décider, pas au juge.»
Est-il juste de défendre ses droits par tous les moyens?
«La faim justifie les moyens.»
La psychologie peut-elle être une science?
«La spychologie permet de mettre de l’ordre dans la tête.»
Questions ou commentaires?
Steve.bergeron@latribune.qc.ca