La renaissance de Louis Julien, un tableau à la fois

Louis Julien a plusieurs raisons de sourire, ces temps-ci. Non seulement tient-il sa première exposition en solo depuis cinq ans, dans sa résidence de Chicoutimi, mais un diagnostic établi en mai lui a permis d’identifier la source des maux de tête qui empoisonnent sa vie depuis un accident subi à l’hiver 2020. À défaut de les éliminer, il apprend à mieux les gérer, notamment grâce à son art.

Depuis qu’il est tombé du toit de sa maison en voulant le déneiger, il y a deux ans, Louis Julien n’est plus le même homme ni le même artiste. Perte de l’usage d’un œil. Ouïe déficiente d’une oreille. Maux de tête récurrents, parfois violents. Humeur sujette à de brusques changements. C’est bien assez pour multiplier les visites chez les médecins et les psys dans l’espoir qu’un jour, ça rendra sa vie plus douce.


Lui-même y a mis du sien, comme l’illustrent ses nombreuses séances de jogging, ainsi que les travaux menés autour de sa propriété de Chicoutimi. Le corps se porte mieux et ça déteint sur sa production de tableaux. Adepte des grands formats, synonymes pour lui de gestes amples, de paysages où le regard peut plonger à loisir, il passe des heures devant la toile, donnant libre cours à ses émotions.

Dans les derniers mois, celles-ci ont coloré son travail plus qu’à l’ordinaire. Des œuvres lumineuses, souvent des scènes maritimes, côtoient des masses rougeoyantes laissant deviner la présence de bâtiments en flammes. Quand elles ont été créées, ces toiles plus anciennes recelaient un mystère qui n’a été résolu que le 19 mai, à la suite d’un rendez-vous médical à l’hôpital d’Alma.



« Le docteur m’a dit qu’on avait trouvé la source de mes maux de tête grâce à un nouveau TACO. La première fois que j’en avais passé un, c’était peu de temps après l’accident et il y avait trop d’enflure. Là, par contre, on voyait qu’une part de mon cerveau était nécrosée, autour de cinq centimètres. Or, elle se trouve à l’endroit où sont filtrées les émotions », a confié Louis Julien au Progrès.

Sensible au drame qui se joue en Ukraine, Louis Julien y a fait écho sur quelques-uns de ses tableaux.

Puisque cette condition est incurable, son unique option consiste à réduire au maximum les sources de tension. C’est plus facile à dire qu’à faire, mais l’une de ses cartes maîtresses réside dans sa création artistique. « De ce côté-là, la peinture m’aide. Je suis alors dans mon monde, sans aucune pression. Je suis bien parce que je contrôle tout. Je suis heureux », fait-il remarquer.

L’avant et l’après

Il suffit de visiter son sous-sol aux airs de galerie pour mesurer le bien qui a résulté de son diagnostic. Les plus récentes toiles arborent une palette de couleurs élargie, dans laquelle on s’étonne de trouver différents tons de vert. « Ça pétille », constate Louis Julien, qui en a profité pour ajouter une touche de lyrisme à ses scènes maritimes.



Quand Louis Julien filait un mauvais coton, plus tôt cette année, ça donnait des toiles comme celle-ci, dominées par le rouge. Elles étaient colorées par ses humeurs changeantes, portées sur les extrêmes à la suite d’un accident survenu en 2020.

Elles sont plus vibrantes que jamais, tellement qu’on a le sentiment que l’eau veut sortir du tableau. L’effet est d’autant plus saisissant que les couches d’acrylique atteignent des proportions étonnantes, à certains endroits. Les surfaces lisses de jadis ont été remplacées par des empâtements dont l’origine se trouve, elle aussi, dans le dossier médical de l’artiste.

Lui qui ne fait jamais de croquis s’accorde également la permission de changer un bâtiment en voilier, ou inversement, si le cœur lui en dit. Une autre raison pour laquelle ses tableaux ont pris du relief.

« Ce que j’aime avec les scènes maritimes, c’est que l’eau n’est jamais pareille. Il n’y a pas de limite aux formes qu’on peut lui donner, un lac calme ou une mer avec de grosses vagues, explique l’artiste. Quant à mon goût pour les bâtiments, il fait écho à mes études en technique d’architecture au Cégep de Chicoutimi. Ça me plaît d’en peindre, surtout s’ils sont déconstruits, quasiment à l’état de ruines. »

Des presque ruines, il y en a dans plusieurs, parmi les œuvres conçues avant le 19 mai. Elles sont en voie de se carboniser et la présence de flammes trahit l’émoi ressenti par leur auteur, du fait de la guerre en Ukraine. « À un moment donné, j’ai cessé de regarder les nouvelles parce que je pleurais, admet-il. Ça allait trop me chercher. »

Néanmoins, l’artiste a conservé les toiles nourries par les replis obscurs de son âme. D’une certaine manière, elles sont devenues le symbole du changement positif amené par son diagnostic. « Je les ai gardées parce que ça me montre le chemin que j’ai fait », énonce Louis Julien.

+ UNE PREMIÈRE EXPOSITION DEPUIS CINQ ANS



Cinq années se sont écoulées depuis la dernière exposition en solo de Louis Julien. De graves ennuis de santé, combinés à l’effet d’éteignoir exercé par la crise sanitaire, ont empêché l’artiste saguenéen d’aller à la rencontre du public. C’est pourquoi il sera heureux de montrer sa production récente, le 18 septembre, dans son nouveau domicile de Chicoutimi.

De 11 h à 13 h, ce jour-là, les personnes ayant reçu une invitation pourront découvrir une quarantaine de ses tableaux. De 13 h à 18 h, en revanche, tous les amateurs d’art qui s’intéressent à son travail, de même qu’au contexte dans lequel il a pu s’exercer, sont cordialement invités à se rendre au Domaine Luxuor, plus précisément au 3149 rue des Cyclistes.

«Bienvenue dans ma galerie», semblait dire Louis Julien au moment où cette photographie a été captée dans sa résidence de Chicoutimi. C’est là que se déroulera, le 18 septembre, sa première exposition depuis cinq ans. On pourra admirer une quarantaine de tableaux, dont 25 qui ont vu le jour dans les derniers mois.

« J’adore le fait que ça se passera dans mon sous-sol, une idée qui est venue de ma blonde. Il y a un divan pour les gens qui voudront s’asseoir et assez d’espace pour que la circulation se fasse aisément. En plus, j’ai ressorti les "spots" qui se trouvaient dans mon ancienne galerie d’Alma, le Vieil Art. Ça donne un look professionnel », fait valoir Louis Julien.

Près de 25 tableaux ont été réalisés en 2022, les autres remontant un peu plus loin dans le temps. Plusieurs sont des grands formats, ce qui correspond au désir de l’artiste, autant qu’au vœu d’une bonne partie de sa clientèle, qui rayonne depuis belle lurette à l’international. Ces temps-ci, des agents veillent sur ses intérêts en Europe et aux États-Unis. Il est aussi question d’une percée au Mexique.

Louis Julien a hâte d’accueillir les amateurs d’art dans la maison où il vit depuis un an, à Chicoutimi.

« Je conserve un lien d’emploi avec Rio Tinto, mais il y a longtemps que ce serait viable si je voulais peindre à temps plein. J’ai pu mener les deux carrières de front parce qu’avant, je n’avais pas besoin de dormir longtemps. Aujourd’hui, par contre, c’est différent. Ça me prend six heures pour récupérer », rapporte l’homme de 54 ans en esquissant un sourire.

Dans l’immédiat, cependant, il pense surtout au plaisir que lui procureront les retrouvailles avec ses clients de longue date, de même que ses échanges avec les personnes qui découvriront son travail. « J’ai hâte et, si ça se passe bien, je n’écarte pas l’idée de tenir une exposition par année à la maison. Je pourrais même inviter d’autres artistes à participer », laisse entrevoir Louis Julien.