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Le paradis à la fin de vos jours

CHRONIQUE / C’était la formule consacrée pour terminer les voeux du jour de l’An lorsque j’étais enfant. Beaucoup de belles choses dans l’année, du succès dans vos études, de l’amour, de la richesse, la santé et le paradis à la fin de vos jours… Ça ressemble un peu aux promesses que nous font les partis politiques en lice pour l’élection provinciale du 3 octobre, surtout en ce qui concerne la carboneutralité en 2050. Tout le monde dit qu’on va y arriver, mais peu de gens acceptent de parler de ce qu’il faut faire concrètement pour atteindre le but. Bien sûr, « tout le monde veut aller au ciel, oui, mais personne ne veut mourir ! », chantait Petula Clark… Alors, comment lire les plateformes électorales en ce qui concerne l’environnement ? Quelles questions devrait-on poser à nos candidats et candidates de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ?


Première question : « Avez-vous une feuille de route avec des cibles intermédiaires et des actions quantifiées pour arriver à l’objectif de carboneutralité en 2050 ? »

La dernière évaluation présentée par le gouvernement du Québec était consternante à cet égard. Malgré des promesses faites en 2006 de réduire de 20 % les émissions de 1990 à 2020 et de 37,5 % d’ici 2030, nous étions à -2,7 % en 2019 et nous n’avions un plan digne de ce nom que pour 2030. Donc, les partis doivent proposer mieux, mais est-ce possible ?

Un article récent publié par des chercheurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) démontre que dans un climat nordique, les principales émissions de gaz à effet de serre se produisent dans la phase de construction d’un barrage. Donc, si on veut atteindre la carboneutralité en construisant plus de barrages, il faudra augmenter les émissions à l’horizon 2030-2040, ce qui retarde d’autant l’atteinte des cibles. Il ne faudrait pas oublier ces émissions dans le calcul…

On ne peut pas promettre le beurre et l’argent du beurre !

Deuxième question : « A-t-on prévu la vitesse à laquelle il faudra implanter les changements préconisés ? »

Par exemple, l’électrification des transports semble être une panacée prescrite par tous les partis. Assurément, le transport est la plus grosse proportion des émissions dans le bilan du Québec, avec plus de 43 %. Mais si on y regarde de plus près, environ 21 % sont liées aux automobiles et aux camions légers, 14 % au transport lourd et le reste (8 %) est divisé entre le transport hors route, maritime et aérien.

Même si le gouvernement veut avoir 1,5 million de voitures électriques sur la route en 2030 et cesser de vendre des véhicules à moteur thermique en 2035, on est encore très loin de la carboneutralité, puisqu’il faut environ 15 ans pour remplacer la flotte de véhicules privés, et c’est encore plus long pour les camions lourds, les bateaux et les avions. Il faut donc être plus ambitieux.

Mais est-ce que les fabricants automobiles suivront ? Et les flottes de camions lourds ? Et les bornes de recharge rapides pour tout ce beau monde ? Il serait plus prudent de travailler sur la logistique du transport lourd pour éviter les camions vides sur les routes, sur le rail, sur le ferroutage, sur l’usage de l’automobile individuelle ainsi que sur l’aménagement du territoire. Pas facile à vendre sur une plateforme électorale !

Troisième question : « Les actions préconisées pour réduire les émissions de GES au Québec vont-elles se traduire par des augmentations d’émissions ailleurs au Canada ou dans le monde ? »

Par exemple, ajouter de l’éthanol dans l’essence diminue les émissions dans le secteur du transport, mais les augmente dans le secteur de l’agriculture. Fermer de vieilles usines ne sert à rien si on délocalise la production en Chine. Produire de l’hydrogène « vert » augmente la demande pour la construction de barrages, donc retour à la première question…

La carboneutralité est un enjeu de plus en plus incontournable, surtout si on en croit une mise à jour de l’impact du réchauffement parue le 8 septembre qui montre que six des neuf points de bascule identifiés seront franchis, même avec un réchauffement modeste de 1,5 °C. Alors, il ne me reste qu’à vous souhaiter la carboneutralité avant la fin de vos jours !

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Pour celles et ceux qui lisent mes textes jusqu’à la fin, je voudrais vous remercier pour le déluge de courriels sympathiques à la poursuite de cette chronique. Au moins, voilà un voeu que je peux contribuer à exaucer !