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Les Avengers du climat

CHRONIQUE / Une chose qui ne manque jamais de faire rire mes étudiants, c’est ma tendance récurrente à me référer à des films et à des séries de superhéros pendant mes cours. C’est immanquable : peu importe le sujet abordé, je trouve presque toujours le moyen d’utiliser un exemple tiré de la culture populaire. C’est aussi ce que je fais parfois dans mes chroniques. Il faut dire que depuis longtemps, les mythes et les légendes ont servi aux auteurs et aux raconteurs à faire passer des idées complexes dans un « enrobage » simple et attrayant. C’est notamment le cas des fables de La Fontaine ou de l’allégorie de la caverne, dans laquelle Platon parvient à synthétiser de manière étonnamment claire et limpide certaines des idées les plus importantes de la philosophie antique.


Le recours aux mythes et aux légendes est utile à plusieurs titres, que ce soit pour véhiculer un message ou pour unir une collectivité autour de valeurs communes. C’est l’inconscient collectif, en quelque sorte. Bien avant la pensée écologique et la crise climatique, par exemple, de nombreux mythes et textes anciens avaient déjà cherché à nous mettre en garde contre les risques liés à un usage abusif ou inapproprié de la science et de la technologie. Les Grecs appelaient ça l’hubris, c’est-à-dire l’orgueil et la démesure des hommes face à la nature et aux dieux. Le mythe de Prométhée jouait alors ce rôle, en rappelant aux hommes leur condition de mortel. Plusieurs siècles plus tard, Mary Shelley reprendra essentiellement le même discours avec son célèbre Frankenstein.

Nos mythes modernes sont peuplés d’une horde de super-vilains et de superhéros. Que ce soit à la télévision ou au cinéma, ils sont omniprésents – trop, diront certains. Mais comme je me plais à le rappeler, ces oeuvres ne sont pas que de simples divertissements ; elles peuvent tout aussi bien servir de soutiens pédagogiques. Elles permettent de véhiculer des messages et de promouvoir certaines valeurs, façonnant ainsi notre inconscient collectif. Et si je vous ai parlé de la pensée écologique et de la crise climatique, ce n’est pas pour rien, car il s’agit d’un des thèmes les plus souvent abordés dans les films et les séries du moment.

J’ai notamment en tête le film Avengers : la guerre de l'infini, qui aborde de front la crise climatique et le problème de la surpopulation. Cette question est intéressante, car il n’est pas rare d’entendre des gens suggérer une baisse de la population mondiale comme solution. Pour eux, la crise climatique semble avant tout une affaire de démographie, un problème de surpopulation. C’est aussi le point de vue de Thanos, le principal antagoniste du film. Ce « méchant charismatique » est très intéressant, car ce n’est pas un méchant ordinaire. Certains diraient même que ce n’est pas un méchant tout court. Thanos vient d’une planète qui a connu l’effondrement en raison de la surpopulation et d’un manque de ressources.

Thanos est donc un personnage traumatisé, un « survivant », comme il le dit lui-même. Et son objectif, pour ne pas dire son obsession, est de veiller à ce que ce qui s’est produit sur sa planète ne se reproduise pas ailleurs. Selon ses observations, c’est ce qui est en train de se produire à l’échelle universelle. Selon lui, il y a trop d’êtres vivants dans l’univers pour les ressources disponibles. Il va alors entreprendre une grande quête pour sauver l’univers. Pour ce faire, il aura besoin des pierres d’infinités, de puissants artéfacts qui lui permettront d’acquérir un pouvoir sans précédent, un pouvoir suffisant pour renverser le cours des événements.

Jusque-là, tout va bien. Son plan semble tenir la route et on peut même affirmer sans se tromper que ses motivations sont nobles. Là où ça se gâte, en revanche, c’est dans la solution qu’il va préconiser pour mettre son plan à exécution. Ce que compte faire Thanos, lorsqu’il aura acquis le pouvoir des pierres d’infinités, c’est anéantir en un claquement de doigts la moitié des êtres vivants dans l’univers. Un génocide, aléatoire, impartial et équitable – ce sont ses mots –, mais un génocide tout de même. Cette solution, radicale au possible, n’est pas sans rappeler le discours de ceux qui préconisent aujourd’hui une réduction de la population mondiale comme solution à la crise climatique.

Personnellement, cette solution m’a toujours semblé une fausse bonne idée. Plus précisément, je trouve que cela ressemble dangereusement à une fuite en avant ou à une excuse pour éviter d’avoir à remettre en question nos comportements destructeurs. En effet, n’est-ce pas plus facile de proposer aux autres de cesser de faire des enfants plutôt que de changer notre propre mode de vie ? Pourtant, tout comme Thanos, si nous réfléchissions un peu plus, nous constaterions que des alternatives existent, et que les solutions radicales et défaitistes ne sont pas forcément les meilleures.

Tout cela n’est pas sans rappeler une autre leçon tirée des films de superhéros, à savoir qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités – merci, oncle Ben ! Avec notre science et notre technologie, nous sommes un peu comme Thanos avec les pierres d’infinités. Nous détenons effectivement un pouvoir extraordinaire, avec lequel nous pouvons tout autant construire que détruire.

Il n’en tient qu’à nous d’en faire bon usage.