Chronique|

Le Noël de l’ornithophile

CHRONIQUE / Il y a quelquefois des rencontres inopinées qui portent à réfléchir. Celle que je vais vous raconter vaut bien une chronique. Tous les jours ou presque nous allons marcher, ma conjointe et moi, dans un sentier situé près de chez nous. La marche est le sport du philosophe, paraît-il. La semaine dernière, à la faveur de mes déambulations, j’aperçois un vieux monsieur que je croise de temps à autre. À l’affût avec ses jumelles, sa caméra et son carnet de notes, il observait les oiseaux.


Nous nous sommes arrêtés à distance pour lui laisser le loisir de compléter ses notes. « C’est Noël! » nous dit-il en s’extasiant. Nous étions pourtant le 1er août… Même le Noël des campeurs était passé. « Je viens de compter quatorze espèces de parulines » me dit-il en montrant un bosquet d’environ 20 mètres de largeur. « Je n’avais jamais fait une observation pareille! » Ce serait un euphémisme de dire qu’il était aux oiseaux… Nous avons discuté quelques minutes pour parler de sa passion.

Observer la nature de façon contemplative est à la portée de chacun. Apprendre à identifier les espèces qui composent la biodiversité du monde vivant, chercher à en décoder les interrelations, prendre des notes et partager ses observations dans des clubs ou sur des réseaux sociaux demande déjà un plus grand investissement, mais apporte bien du plaisir aux passionnés. C’est somme toute un passe-temps qui génère un dérangement minimal pour la nature et qui crée pour celles et ceux qui le pratiquent un profond attachement au territoire. « C’est tellement important de protéger ce boisé pour protéger mes oiseaux » insiste notre ornithophile. 

Naturellement, nous avons discuté des changements qu’il a observés au cours de toutes ces années, des espèces qui se raréfient, d’autres qui apparaissent, venant du sud à la faveur des changements climatiques. Il m’a aussi raconté comment les corneilles favorisaient l’expansion des chênes dont elles transportent les glands. « Pour en manger un, elles en craquent trois qui tombent au sol, ce qui favorise leur germination ». Pas mal comme observation, j’aurais cru que c’étaient les écureuils qui faisaient ce travail. Quand il m’a raconté comment il avait vérifié son hypothèse, j’ai été surpris de sa rigueur. Un chercheur aurait sans doute utilisé une méthode similaire, mais avec plusieurs réplicas sur des populations de corneilles différentes pour assurer la validité statistique de ses conclusions. Il aurait sans doute fait la même chose avec des écureuils pour comparer, mais la démarche expérimentale du citoyen reste fort valable.

Beaucoup de gens font des observations de la nature et en tirent des conclusions valables. Lorsqu’ils consignent celles-ci dans des sites spécialisés comme e-bird, les chercheurs peuvent s’en servir pour leurs propres études. Des millions de personnes enregistrent partout dans le monde leurs observations qui sont compilées en temps réel et rendues accessibles aux chercheurs, à leurs étudiants, aux enseignants et aux simples curieux. C’est ce qu’on appelle la science citoyenne.

La science citoyenne s’applique à la conservation de la nature, mais à beaucoup d’autres sujets comme la santé ou la qualité de l’air et de l’eau, la dynamique des glaces, les tremblements de terre et bien d’autres. En consultant le portail d’Industrie Canada sur la science citoyenne, on peut voir une multiplicité d’initiatives et de projets qui se déroulent partout au Canada. Des projets pilotés par des universités, des ministères, mais aussi par des groupes de citoyens y figurent. Cela illustre le potentiel de mettre à contribution tout un chacun pour la cueillette de données qu’il serait impossible aux chercheurs de colliger autrement.

Il faut bien le dire, la collecte des données est ce qui coûte le plus cher en sciences. Pour déplacer des équipes sur le terrain, faire des observations de qualité en nombre suffisant souvent dans des sites éloignés les uns des autres pour s’assurer de la robustesse statistique, les financements sont toujours limités. Grâce à l’implication des citoyens, il est maintenant possible avec les outils du web de constituer des banques de données précieuses qui nous seront fort utiles pour mieux comprendre notre univers en changement. Si en plus, cela permet à des ornithophiles de célébrer Noël en août, pourquoi pas?