Sur le chantier de rénovation du Pavillon principal de l’UQAC se trouvent plusieurs conteneurs. Certains sont remplis de gypse ou de fer ; d’autres d’équipements de salle de bain, de luminaires, de ballasts, de fenêtres, de portes et de tuiles de plafond. Il y a aussi le conteneur à déchets, où s’entremêlent des emballages en plastique non recyclables, de l’uréthane soufflé, quelques briques et de la laine minérale souillée. Mais même après plusieurs semaines de travaux de réfection, à peine un huitième du conteneur est rempli.
La raison est simple : au coeur de la cure de rajeunissement du Pavillon principal de l’établissement, qui s’échelonnera sur cinq ans au coût de 40 millions de dollars, réside une noble mission, soit de déconstruire de façon méticuleuse afin de revaloriser un maximum de matériaux.
« On a décidé de faire de ce chantier un projet pilote en déconstruction, en se disant que si on était capables de valoriser 10 % des matériaux, ce serait déjà ça, explique Frédéric Desgagné, directeur du Service des immeubles et équipements à l’UQAC. Finalement, on réussit à récupérer près de 90 % de tous les matériaux ! »
« Si on tire toutes les matières dans le même conteneur, elles ne valent rien. Elles prennent de la valeur quand elles sont démêlées », explique Claude Villeneuve, biologiste et professeur titulaire au Département des sciences fondamentales de l’UQAC.
Il est aussi directeur de la Chaire en éco-conseil, qui assiste des organismes, des institutions ou des entreprises pour le développement de projets dans un cadre de développement durable.
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Par ricochet, l’UQAC veut réduire la quantité de matériaux qui seront envoyés au dépotoir.
L’effort n’est pas banal, car selon Recyc-Québec, 1 362 000 tonnes de résidus de CRD (construction, rénovation et démolition) ont été jetées aux poubelles en 2019-2020, soit 28 % de tous les déchets enfouis au Québec durant cette période.
Des partenariats clés
À l’heure actuelle, ce projet de déconstruction est un des plus gros projets du genre au Québec, car l’écosystème mis en place au Saguenay–Lac-Saint-Jean permet de valoriser la majorité des matériaux. « Dès qu’on identifie une matière qui a un potentiel, on l’offre à Quincaillerie Réemploi+, et c’est très rare qu’ils refusent les produits », explique Dominic Ouellet, surveillant de chantier au Service des immeubles et équipements de l’UQAC.
À la mi-juillet 2022, cinq conteneurs remplis de matériaux divers, de gros blocs de béton et 40 palettes de briques, soit suffisamment pour construire trois maisons, avaient déjà pris le chemin de la Quincaillerie R+. En plus des produits facilement réemployés, comme la brique, l’entreprise d’économie sociale donne une deuxième vie aux produits de salle de bain, comme les urinoirs, les distributrices de papier et les tubes fluorescents.
« On a rapidement travaillé sur nos politiques pour intégrer les matériaux de déconstruction de ce chantier sur nos tablettes », explique Katia Girard, directrice générale de Réemploi+.
La quincaillerie a ouvert ses portes en novembre 2021, à Alma, pour mener de front deux missions : le réemploi des matières résiduelles issues des écocentres, afin d’en détourner 5000 tonnes de l’enfouissement par an, et la valorisation des personnes, en offrant des occasions de formation et d’intégration sur le marché du travail.
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De plus, plusieurs chargements de gypse ont déjà été livrés à Gypse du Fjord Recyc-Mobile, à Latterière, pour être transformés en engrais agricole.
L’entrepreneur baieriverain AMEC Construction joue également un rôle clé dans la réussite du projet, ayant déjà mené à bien des chantiers requérant la certification LEED, comme le Lab-École Saguenay, qui exige que 25 % des déchets soient détournés des sites d’enfouissement, explique Christian Desbiens, copropriétaire de l’entreprise.
Selon ce dernier, un tel projet de déconstruction engendre près de 15 % de coûts supplémentaires, étant donné qu’il faut prendre le temps de bien séparer les matériaux. Mais en retour, au moins 150 $ sont économisés pour chaque tonne de déchets détournée de l’enfouissement. « On développe une expertise dans cette spécialité », dit-il, ajoutant que sa fille, ingénieure en bâtiment associée chez AMEC Construction, a suivi une formation en déconstruction.
Une économie circulaire en marche
Pour l’instant, il est difficile de quantifier les réductions de gaz à effet de serre liées à ce chantier, mais une thèse de maîtrise sera réalisée sur le sujet à l’UQAC. Chose certaine, « nettoyer et transporter les matériaux à valoriser est beaucoup moins polluant que d’extraire, de transformer, de fabriquer et de transporter de nouvelles matières », souligne Claude Villeneuve.
Une autre thèse de maîtrise visera à maximiser le taux de récupération des matériaux pour le marché du réemploi, tout en préparant un cahier des charges pour le déploiement de projets de déconstruction, explique Patrick Faubert, professeur en écologie industrielle et lutte aux changements climatiques, qui travaille aussi sur le chantier.
En mai 2022, le gouvernement du Québec a annoncé la création d’un comité d’experts, sous la coordination de Recyc-Québec, lequel se penchera sur la gestion des résidus de CRD, pour faire suite au rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement portant sur l’état des lieux et la gestion des résidus ultimes au Québec.
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L’UQAC est d’ailleurs en pourparlers avec Recyc-Québec pour développer un modèle à reproduire sur tous les chantiers au Québec en ce qui a trait à la déconstruction.
En regardant le chantier et le travail accompli jusqu’à maintenant, Frédéric Desgagné est fier. « On ne pourrait plus faire un chantier comme avant et tout jeter », dit-il, signe qu’une nouvelle ère de l’économie circulaire se met en place.