Une révolution de l’éducation s'enclenche à Mashteuiatsh

La signature de l’entente régionale en matière d’éducation lance une véritable révolution à Mashteuiatsh. À compter de l’an prochain, la communauté innue du Lac-Saint-Jean recevra 5,5 millions de dollars de plus du gouvernement fédéral pour la prise en charge de son système éducatif , une hausse de 61 % par rapport à 2022, pour un total de 14,5 M $. Avec ces montants, elle souhaite entre autres implanter un programme d’immersion en nehlueun pour la maternelle 4 ans et une concentration culturelle au secondaire, en plus d’embaucher plusieurs spécialistes.


« Cette entente va passer à l’histoire. Développer notre propre système éducatif est la meilleure façon de se sortir l’état de dépendance et de l’état de pauvreté qui, malheureusement, fait encore des ravages, a lancé le chef de Mashteuiatsh, Gilbert Dominique, lundi, juste avant de signer l’entente intervenue le 14 juillet. On ne pourra plus chialer après le gouvernement si ça ne fonctionne pas, parce qu’on devra plutôt se regarder dans le miroir. »

Le 14 juillet, 19 des 22 communautés regroupées au sein du Conseil en éducation des Premières Nations (CEPN) se sont regroupées à Kahnawà:ke pour l’annonce d’un budget de 1,1 milliard $ sur cinq ans octroyé par Services aux Autochtones Canada. Gilbert Dominique ne pouvait pas être présent à cette occasion et c’est pourquoi il a signé l’entente lundi.



Gilbert Dominique signe les documents officiels, en compagnie de Denis Gros-Louis, directeur général du CEPN.

Sous-financement chronique

Alors que Québec est responsable de l’éducation des jeunes dans la province, Ottawa l’est pour les communautés autochtones. Au cours des dernières années, Québec a augmenté considérablement les budgets en éducation, pendant que la majoration des budgets chez les Premières Nations était inférieure, à 2 % par année. Cette entente permet donc le rattrapage de ce sous-financement chronique, évalué à environ 35 % d’écart avec les autres élèves québécois.

« On a décidé de jeter à la poubelle le modèle de financement du fédéral pour présenter notre propre modèle », explique Denis Gros-Louis, directeur général du CEPN.

Le CEPN a évalué les besoins réels des jeunes des communautés en comparant les salaires des professeurs, les primes d’éloignement et les montants pour les besoins particuliers, par exemple, avec le gouvernement du Québec. Et les négociateurs ont été si convaincants que le gouvernement fédéral a accepté les demandes telles quelles, rappelle Denis Gros-Louis. « On a écrit l’histoire », estime-t-il.



Les divers intervenants au dossier de l’éducation étaient très heureux de la signature de l’entente.

Benoit Amyot, avocat au bureau de Caïn Lamarre à Roberval, a fait partie des négociateurs. « La plus grande difficulté a été de trouver une entente pour 22 communautés, alors que les attentes n’étaient pas toujours les mêmes, mais quand on a réussi à faire ça, le gouvernement du Canada a embarqué. »

L’entente négociée est d’une durée de cinq ans et les montants versés aux communautés varieront selon la recette établie. « Chaque année, un mécanisme de révision permet de calculer les montants », précise Benoit Amyot.

Par exemple, si Québec augmente les salaires des professeurs, le financement sera plus élevé.

Cette entente pave le chemin pour plusieurs autres communautés au Québec et dans le reste du pays. « Les communautés négocient généralement seules ou avec seulement une autre communauté, en bonifiant le modèle fédéral en place, alors que de notre côté, on ne voulait rien savoir de l’approche fédérale », note Denis Gros-Louis.

Au Québec, l’entente pourrait notamment inspirer les Innus de la Côte-Nord, les Cris, les Naskapis et les Inuit. Idem dans le reste du pays, mais les peuples autochtones devront faire la preuve que leurs écoles sont sous-financées, comme c’était le cas au Québec.

Nathalie Larouche, directrice de l’éducation et de la main-d’oeuvre Mashteuiatsh

Un système éducatif adapté

Grâce à ces montants additionnels, Mashteuiatsh souhaite mettre en place son propre système éducatif, en développant des programmes durables.



« On veut accompagner nos jeunes à la hauteur de leurs besoins, en offrant des cours empreints de notre culture et de notre histoire », résume Gilbert Dominique, qui souhaite même promulguer une loi sur l’éducation.

Dès l’an prochain, le budget en éducation sera bonifié de 61 %, passant de 9 à 14,5 M $ par année, soit une augmentation de 5,5 M $. « Ça fait en sorte qu’on a maintenant un montant égal par étudiant que les autres écoles du Québec », affirme Nathalie Larouche, directrice de l’éducation et de la main-d’oeuvre.

Concrètement, ces montants permettront d’embaucher un orthopédagogue et dix éducateurs spécialisés, passant ainsi de cinq à quinze éducateurs permanents. « Au lieu de miser sur du financement ponctuel, comme c’était le cas dans le passé, on va pouvoir embaucher des ressources permanentes. »

De plus, l’école primaire Amishk lancera une maternelle 4 ans en immersion en nehlueun, la langue innue, à compter de l’an prochain.

Le financement sera aussi bonifié pour les sorties et les programmes en territoire, notamment pour en secondaire 4 et 5. « On aimerait offrir un programme de concentration pour faire plus de sorties culturelles en territoire pour motiver les jeunes », note Nathalie Larouche, avant d’ajouter que des voyages pourraient même être organisés dans des communautés de l’Ouest canadien.

Pour la première fois depuis 300 ans, un wampum a été fabriqué dans le cadre de la ratification d’une entente entre les Premières Nations et le gouvernement du Canada, a expliqué Denis Gros-Louis.

Ainsi, Mashteuiatsh souhaite garder davantage de jeunes à l’école secondaire Kassinu Mamu, car près de la moitié des élèves choisissent d’étudier hors de la communauté à ce niveau.

L’entente sur l’éducation permettra aussi de maintenir des ratios élèves-enseignants plus bas, pour favoriser la réussite, et de poursuivre l’accompagnement individualisé des élèves, pour atteindre un taux de diplomation supérieur. « On suit nos élèves de près et on peut même aller voir la kukum (grand-mère) si un élève ne vient pas en classe », dit-elle.

À Mashteuiatsh, environ 250 jeunes fréquentent l’école primaire Amishk, alors que 90 élèves étudient au secondaire, à Kassinu Mamu.