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Une affaire de société

CHRONIQUE / « Du jamais-vu! » C’est ainsi qu’on qualifiait l’état des champs dans certains secteurs du Lac-Saint-Jean, encore inondés à la fin de juin. Il faut dire qu’après un hiver très neigeux, un mois de mai frais et un mois de juin exceptionnellement pluvieux, les sols sont saturés d’eau et qu’il est dans plusieurs cas périlleux pour la compaction d’accéder aux champs avec de la machinerie.


Mais pourquoi est-ce si important que les sols soient bien aérés? La porosité d’un sol est une composante importante de sa qualité pour l’agriculture. Elle permet aux racines de se frayer un chemin et d’ainsi augmenter la capacité de la plante à absorber l’eau et les nutriments qui sont nécessaires au rendement des cultures. Le système racinaire des plantes annuelles a grand besoin d’oxygène pour son métabolisme et sa croissance. À la surface des racines se trouvent des milliers de poils absorbants d’une épaisseur de quelques cellules qui consomment de l’oxygène. De même, les bactéries du sol sont beaucoup plus efficaces pour minéraliser la matière organique en présence d’oxygène. Cela explique pourquoi les milieux humides tendent à accumuler beaucoup plus de matière organique que les milieux bien drainés. Quand les interstices du sol sont remplis d’eau, l’oxygène diffuse mal. Si cette situation dure trop longtemps, la plupart des plantes ne parviennent pas à survivre à l’anoxie des racines. Les vers de terre ne sont pas non plus confortables dans des sols inondés. Or ce sont des agents importants pour l’aération, en particulier dans les sols argileux. Lorsqu’on fait circuler des machineries sur des sols argileux détrempés, cela peut prendre des années ou d’importants travaux mécaniques avant qu’ils puissent retrouver leur structure et leur fertilité.

Pour les agriculteurs affectés, la situation est critique, car si les champs ne sont pas ensemencés des pertes sont anticipées. Cependant, s’ils sont assurés, les producteurs pourront être dédommagés par les programmes de compensation de la Financière agricole.

Pour une entreprise familiale, ce manque à gagner peut remettre en cause le maintien des activités. Si on considère en plus la difficulté de récolter le fourrage et les céréales victimes de l’anoxie des racines, l’année 2022 sera difficile. Une de plus!

Les propriétaires peuvent-ils faire autrement et semer quand même? Faucher malgré l’humidité? Creuser des fossés de drainage? Changer de cultures? Pourquoi pas le riz avec le réchauffement climatique! Malheureusement, il n’y a pas de solutions faciles ni de baguette magique pour résoudre ce genre de problème.

Les printemps se suivent et ne se ressemblent plus. Voilà le problème. Les situations météorologiques inhabituelles, neiges ou pluies abondantes, canicules, sécheresses seront beaucoup plus fréquentes dans les prochaines décennies dans un contexte où on prévoit une augmentation des moyennes annuelles de 3 degrés d’ici moins de 30 ans dans la région. Malgré ce que le sens commun nous laisse croire, en agriculture le réchauffement du climat n’est pas nécessairement garant de meilleures récoltes. Alors comment peut-on s’adapter à un nouveau climat de plus en plus imprévisible? Le projet Agriclimat donne d’excellentes pistes d’adaptation pour les producteurs de chacune des régions du Québec, tant pour les productions animales que végétales. Fort bien, mais s’adapter au climat du futur ne protège pas nécessairement contre les extrêmes météorologiques qui sont par définition des évènements ponctuels que l’on ne peut prévoir qu’à court terme.

C’est là que la responsabilité de l’adaptation dépasse les producteurs et les productrices. Il faut un meilleur système d’assurances qui permette de mieux assumer les dommages à court terme pour protéger l’activité agricole à long terme. Par exemple, les agronomes savent les dommages que la compaction des sols peut provoquer sur la productivité des terres. Une saison exceptionnellement humide comme le printemps 2022 oblige les producteurs à prendre des décisions qu’ils pourraient regretter longtemps. Il faudrait donc qu’ils soient dédommagés de façon à protéger leur rendement pour les prochaines saisons.

L’adaptation aux changements climatiques est une affaire de société. Il ne faut pas en faire porter tout le poids sur les agricultrices et les agriculteurs. La capacité de produire des aliments sur un territoire apporte des bénéfices collectifs. La collectivité a le devoir de s’en occuper.