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Les nouveaux curés

CHRONIQUE / « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans. » - Socrate


Cette citation apocryphe de Socrate représente assez bien le conflit incessant – et assez ridicule, selon moi – entre les générations. C’est toujours comme ça que ça se passe, les jeunes se moquent des vieux, qu’ils perçoivent comme des « dinosaures », et les vieux critiquent les jeunes, qu’ils jugent prétentieux et écervelés. Bref, plus ça change, plus c’est pareil, un peu comme si nous étions incapables de prendre un peu de recul et d’apprendre de nos erreurs.

De génération en génération, les préoccupations et les combats changent ou évoluent, ce qui génère forcément certaines incompréhensions. Ce n’est guère surprenant, mais il s’en trouve néanmoins toujours quelques-uns pour s’en surprendre et s’en désoler. Ainsi, à lire certains chroniqueurs, on pourrait croire que les jeunes sont infestés par le « wokisme » de la pire espèce. Quiconque milite en faveur des droits des personnes LGBTQ+ est immédiatement suspecté d’être un méchant woke. Même chose pour les féministes de la troisième vague, ou encore les militants antiracistes et antispécistes. On les accuse notamment de vouloir imposer leurs idées à coup de cancel culture et de bien-pensance. Pour toutes ces raisons, ils sont parfois qualifiés de « nouveaux curés ».

Des curés, vraiment? Considérant le rôle qu’ont joué les curés pendant la Grande Noirceur au Québec, cette affirmation a de quoi surprendre. Car le moins qu’on puisse dire, c’est que le clergé québécois était tout sauf progressiste. Dans l’imaginaire collectif, la figure du curé s’apparente plutôt à celle d’un individu obtus et moralisateur. Certes, on reproche souvent aux militants progressistes d’être eux-mêmes moralisateurs, mais cela ne fait pas d’eux des curés pour autant. Le rôle des curés a toujours été de nous mettre en garde contre les dérives du progressisme et la décadence morale de notre époque. La gauche progressiste, au contraire, remet en question l’ordre établi en dénonçant les inégalités et les injustices qui subsistent dans la société.

Alors, qui sont les véritables curés dans toute cette histoire? Les militants progressistes, qui se battent pour la reconnaissance des droits et la dignité des groupes minoritaires et/ou marginalisés, ou celles et ceux qui passent leur temps à les critiquer et à les ridiculiser? Pour ma part, je constate surtout que le monde change et que les mentalités évoluent, parfois très rapidement, au point où certaines personnes ne s’y retrouvent plus et s’y sentent carrément menacées. À tort ou à raison, elles perçoivent ces changements comme une menace ou un désaveu à l’endroit de tout ce en quoi elles croient ou ce qu’elles ont bâti. C’est ainsi qu’on devient aigri et réactionnaire, comme les curés d’autrefois.

Qu’on me comprenne bien, je ne prétends pas qu’il faille embrasser le changement aveuglément, sans remise en question. Il est évidemment important de demeurer critique afin de prévenir d’éventuels dérapages. En revanche, il faudrait aussi veiller à ce que ces appels à la prudence ne deviennent pas de simples excuses pour justifier et maintenir le statu quo, comme cela a été trop souvent le cas par le passé. Le mariage entre conjoints de même sexe, l’aide médicale à mourir et la légalisation de la marijuana sont autant d’exemples de dossiers qui, s’il n’en avait tenu qu’à certains esprits obtus, n’auraient jamais abouti.

Aujourd’hui, ce sont ces mêmes personnes qui nous mettent en garde contre les dérives du wokisme, et plus particulièrement contre le mouvement LGBTQ+, qu’ils perçoivent comme la principale menace à l’ordre établi et aux bonnes mœurs. En toute humilité, j’admets ne pas être un expert du sujet, mais je vous avouerai que je n’accorde a priori pas beaucoup de crédibilité à des réactionnaires qui s’opposent presque systématiquement au progrès social. Je préfère de loin faire confiance aux militants qui se battent pour faire progresser les droits de la personne plutôt que les restreindre.

C’est toujours comme ça que ça se passe, les jeunes doivent se battre pour prendre leur place et imposer leur « agenda » dans un monde qui refuse de changer. Mais que nous le voulions ou non, l’avenir leur appartient, alors pourquoi ne pas leur faire davantage confiance? Pourquoi ne pas les laisser faire les choses à leur façon? Quant aux nouveaux curés, qui semblent croire que le monde va s’écrouler à cause des personnes trans ou des drag queens, laissons-les fantasmer sur le « bon vieux temps » si ça leur chante. Le monde évoluera de toute façon, avec ou sans eux.