Ribozome, pour mettre des insectes dans votre assiette

Ribozome propose deux types de produits: les ténébrions déshydratés, ainsi que la poudre de ténébrion.

L’extérieur des anciens locaux de la Caisse Desjardins de Saint-Nazaire, abritant aujourd’hui Services de projet Essor, ne laisse en rien présager de l’univers particulier qu’il héberge. Plus de 500 kg de ténébrions grouillent en effet au sous-sol de l’endroit, installés bien au chaud dans leur habitat ultra-contrôlé.


Ces ténébrions en quantité impressionnante cohabitent dans l’espace transformé en laboratoire d’élevage de Ribozome, où chaque degré de température et taux d’humidité est noté, vérifié et analysé. C’est là que ces insectes y sont reproduits, passant de larve à nymphe, jusqu’au ténébrion adulte, le tout en huit à douze semaines.

« Lorsque la larve aura atteint sa pleine grandeur, c’est là que nous allons récolter. Nous allons en garder 90 % qui vont aller en transformation et il y a un 10 % que nous allons garder pour en faire une nymphe et renouveler notre capacité, pour avoir assez d’adultes pour pondre des oeufs. Et ça tourne », explique l’entrepreneur à l’origine de Ribozome, Dany Fortin, à propos du procédé d’élevage.

Les ténébrions sont conservés dans des bacs de ponte spécialement conçus, tapissés de résidus de céréales, et se nourrissent de fruits et légumes afin de puiser l’eau nécessaire. La pomme de terre est particulièrement prisée afin d’alimenter la petite colonie d’insectes.

90% des larves sont récoltées pour la transformation, alors que le reste est conservé pour en faire des nymphes, pour la reproduction.

« Ce pourrait être des carottes ou des piments, peu importe. Mais nous avons des patates parce que je suis capable d’en avoir à l’année, parce que je vais récupérer les résidus d’un transformateur de pommes de terre. Quand ça va bien, il réussit à les composter, mais sinon ça va à l’enfouissement. Donc, je sauve ces déchets-là », mentionne M. Fortin.

Un peu plus de 1000 bacs sont ainsi entassés chez Ribozome, répartis selon la phase de leur développement. Lorsque les larves destinées à la transformation auront atteint leur pleine grandeur, elles suivront un processus de jeûne et de déshydratation, avant d’être congelées pour être abattues. Cette matière première sera ensuite prête à être acheminée à l’usine de transformation.

« Nous allons les transformer chez LAFIB à Alma, qui est déjà tout certifié pour l’alimentation humaine et les procédures. Moi, je m’occupe de l’élevage, et rendu là, la recherche et la transformation, ce sont eux qui s’en occupent », précise l’éleveur.

Deux types de produits en ressortiront et pourront être ensachés pour la mise en marché : les ténébrions déshydratés, ainsi que la poudre de ténébrions.

Les ténébrions peut se nourrir de résidus de fruits ou de légumes. Ribozome utilise des pommes de terre.

« Les larves déshydratées, on peut les mettre dans une salade, par exemple. C’est certain que ça frappe plus l’imaginaire. La poudre peut être utilisée comme une farine, donc c’est sûr que si tu te fais une crêpe ou des galettes, tu ne t’en rends pas compte. Ça va seulement goûter un peu la noisette », image Dany Fortin.

En résulte un produit dont la valeur nutritive pourra bonifier bon nombre de plats, à l’aide d’une très petite quantité. « Deux cuillères à soupe dans ta vinaigrette et c’est comme si tu avais mis du saumon dans ta salade », assure le producteur.

Un marché en plein essor

Dany Fortin regardait un épisode de Dans l’oeil du dragon, en 2020, quand l’idée de passer à l’élevage de ténébrions lui est apparue soudainement. Deux ans plus tard, ce technicien en environnement reconverti au domaine de la construction est prêt pour lancer la seconde phase d’une entreprise qui s’annonce prometteuse.

Celui-ci devra d’abord relever un premier défi d’importance, car même si l’instigateur de Ribozome est fin prêt pour la suite, qu’en est-il du public ? 

« J’étais récemment dans un congrès avec des gens de 58 pays, et pour certains, les insectes font partie de leur alimentation. Tout le monde est unanime, il ne faut pas choquer avec l’image de l’insecte. Il faut faire attention », admet l’éleveur. 

« Il faut travailler à changer la mentalité. Mais je me souviens de la première fois où ils nous ont sorti des sushis. Le poisson cru, c’était non. Nous l’avons changé, notre mentalité, et nous sommes ailleurs », soulève M. Fortin à titre d’exemple. 

Il n’y a cependant pas que le consommateur qui doit être convaincu. Pour en arriver où il en est aujourd’hui, Dany Fortin a dû investir entre 150 000 $ et 200 000 $ pour la mise en place de Ribozome, en plus de persuader les acteurs de l’industrie et partenaires financiers d’appuyer son projet.

Le fondateur de Ribozome, Dany Fortin, dans le laboratoire d’élevage.

« Financière agricole, MAPAQ, les assureurs, Investissement Québec, la municipalité... Partout où j’appelais, on me disait : “De quoi tu me parles ? ”. Je l’ai pitchée, mon histoire ! Les directeurs de compte, combien ils en ont vu du monde avec des nouvelles idées ? Moi j’arrivais et je voulais élever des insectes », se souvient-il, non sans un brin d’autodérision.

Si ce domaine peut rebuter bien des Québécois au premier abord, les plus récentes études démontrent qu’il est en plein essor un peu partout dans le monde. Bon nombre d’usines de transformation sont d’ailleurs apparues dans les dernières années sur la planète, bâties à grands coups de millions. En province, ils sont environ une trentaine de producteurs, à plus petite échelle.

« Il y en a trois sortes : le grillon, la mouche sodo noire et le ténébrion. La mouche sodo noire est surtout vendue pour les animaux de compagnie, et le grillon, c’est le premier insecte comestible dont on a entendu parler il y a 10 ans. Mais comme éleveur d’insectes, régionalement, je pense pas mal être le seul », avance Dany Fortin.

Un élevage écoresponsable

Non, ce n’est pas une attirance particulière pour les insectes qui a incité Dany Fortin à se lancer dans cette aventure. C’est plutôt le procédé de production compatible avec les propres valeurs environnementales de ce passionné d’agriculture qui a fait toute la différence.

« Si on compare avec un kilo de protéines de boeuf, protéine pour protéine, moi je vais prendre trois litres d’eau pour la produire, et le boeuf va en prendre 151. On est autour de 25 ou 26 % de protéines dans du boeuf, et moi avec la protéine d’insecte, je suis à 62 %. Les gaz à effet de serre, même chose. Pour produire du boeuf, tu vas émettre jusqu’à 2800 grammes de gaz à effet de serre, moi je vais en émettre un gramme par kilo de protéine », cite en exemple le producteur, précisant que l’élevage met aussi en valeur l’économie circulaire, puisqu’il récupère des résidus de meunerie et de légumes peu valorisés. Le fumier d’insectes, le frass, peut quant à lui être réutilisé et remis en marché de la même façon que le compost de crevettes.

Ribozome envisage de produire à grande échelle et de bâtir une usine d’ici deux ans.

Vers une plus grande production

Aujourd’hui, M. Fortin voit déjà grand pour l’avenir de Ribozome, tout en conservant un certain réalisme. Il n’aspire pas à vendre lui-même des produits préparés à partir du fruit de son élevage, mais bien à séduire des entreprises qui pourraient l’utiliser.

« Par exemple, si Quaker Canada voulait en mettre dans ses barres tendres ? Ou quelqu’un voudrait faire une pâte alimentaire avec ça ? , illustre-t-il. Mais après deux ans, je suis exactement là où je voulais être. Maintenant, c’est de me préparer pour bâtir une usine dans deux ans. Qui va produire combien de tonnes ? Je ne sais pas encore, parce que d’ici deux ans, combien ça coûtera pour la construire et produire 50, 100 tonnes ? Ça peut changer vite, et les coûts de construction, et le marché », ajoute Dany Fortin.