Par Mathieu Lavigne, directeur de Mission chez nous
Alors que cette amitié entre Autochtones et non-Autochtones peut parfois paraître fragile, sinon utopique, lorsque surviennent des événements comme le décès tragique de madame Joyce Echaquan, il y a aussi de ces moments, de ces rencontres qui ouvrent de nouveaux horizons, de nouveaux possibles.
En mai dernier, au Centre de prière l’Alliance à Trois-Rivières, se tenait une retraite intitulée Germe de justice réparatrice, à laquelle participèrent 23 personnes atikamekw et 23 non-autochtones. Des membres de l’équipe de Mission chez nous, organisme au sein duquel j’ai le plaisir d’œuvrer, étaient présents, à l’invitation du Centre de services de justice réparatrice, qui organisa cet événement en collaboration avec un comité de femmes atikamekw. En présence, notamment, de Mgr Louis Corriveau, évêque du diocèse de Joliette, et de Mgr Martin Laliberté, évêque du diocèse de Trois-Rivières, toutes les personnes présentes ont vécu une démarche de réparation à la fois individuelle et collective. La foi fut ici un pont et la relation avec le Christ vecteur de guérison et d’apaisement.
Au fil de ces trois journées, les discussions profondes et authentiques se sont multipliées et toutes et tous ont vécu un fascinant cœur à cœur. Une chose était frappante dans le témoignage livré par les Atikamekw présents : rien ne laissait transparaître un désir de culpabiliser l’Autre ; aucun ressentiment n’était palpable. Seule cette invitation fut lancée : écoutez notre vérité et accompagnez-nous sur cette route vers une réelle égalité.
Une visite papale en mode écoute
Alors que le pape François se prépare à visiter les Premiers Peuples du Canada après avoir reçu trois délégations autochtones au Vatican plus tôt ce printemps, une chose doit être rappelée : ce moment historique appartient en tout premier lieu aux Autochtones du Canada. Bien sûr, pour plusieurs Canadiennes et Canadiens, l’arrivée du pape en sol canadien sera vécue comme une célébration, alors que de nombreuses personnes gardent un souvenir indélébile et festif du premier voyage de Jean-Paul II au Canada, en 1984.
Il faut toutefois garder en tête que l’objectif principal du voyage que fera le pape François du 24 au 29 juillet est de répondre aux besoins exprimés par des membres des communautés autochtones. Ces derniers ont souligné qu’il était nécessaire de voir le pape, et surtout de percevoir son émotion au moment de réitérer ses excuses, de sentir comment les histoires entendues l’ont transformé, l’ont bousculé intérieurement. Les excuses présentées le 1er avril dernier à Rome doivent être réitérées le plus près possible des survivantes, des survivants et de leurs familles. Cela illustre l’importance, en milieu autochtone, de la relation, de l’authenticité, de la présence, des éléments incontournables au développement d’une amitié sincère et durable.
Durant ces journées de juillet, les non-Autochtones devront s’effacer par moment et surtout porter attention aux récits partagés, dont ceux des personnes ayant vécu des abus de toutes sortes dans les pensionnats. Contribuer au rayonnement de ces prises de parole courageuses et transformatrices pourrait d’ailleurs constituer une façon de s’impliquer dans cette démarche d’écoute et de rencontre qui sera au cœur de la visite papale.
Le germe de quelque chose de plus grand
Une fois le séjour du pape François en sol canadien terminé, il faudra s’assurer que ce voyage et ces excuses ne soient pas un point d’arrivée, mais bien le début, le germe de quelque chose de plus grand. Le thème de cette visite papale est Marcher ensemble, et cette marche vers la guérison ne fait que commencer. Marchons ensemble, certes, mais veillons, du côté non-autochtone, à ne pas dicter la marche. J’ajouterais : au besoin, restons un pas à l’arrière, surtout si l’envie est trop grande de marcher devant. Cette relation d’amitié espérée ne se développera pas à notre rythme.
Trop souvent, nous parlons de réconciliation, sans trop réfléchir à ce qu’implique ce terme. Bien des personnes autochtones nous rappellent qu’il est difficile de se réconcilier avec une personne — ou des nations, dans ce cas-ci — que nous ne connaissons pas… Et il est vrai que nous ne connaissons que très mal les onze nations autochtones présentes sur le territoire aujourd’hui appelé le Québec. Pourquoi ne pas saisir cette occasion offerte par la visite du pape pour apprendre à mieux connaître nos frères et nos sœurs autochtones, écouter leur vérité et se laisser transformer intérieurement ? Les communautés autochtones désirent – avec raison – que ces excuses ne soient pas que symboliques.
L’amitié est aussi une question de cohérence. Et rares sont les amitiés dénuées de blessures. Mais celles qui s’inscrivent dans la durée sont celles où les actions ayant engendré souffrances et injustices ont été réparées.