Comme leurs collègues salariés de l’Aide juridique, ils veulent protester contre les honoraires qu’on leur donne lorsqu’ils représentent des clients dont les frais sont payés par l’État.
Lundi matin, Me Jean-Pierre Fundaro s’est présenté seul devant le juge Pierre Lortie, qui présidait la cour criminelle pour le district judiciaire de Roberval au Palais de justice d’Alma. Il a lu une déclaration informant le tribunal qu’il représentait tous ses collègues criminalistes membres de l’AQAAD (Association québécoise des avocats et avocates de la défense) pour reporter toutes les causes inscrites au rôle, et ce, sans que les accusés renoncent aux délais comme cela se fait normalement lorsque la défense demande une remise. Cette renonciation évite qu’un accusé voie les charges contre lui retirées en raison de délais déraisonnables, tel que décidé par la Cour suprême dans l’arrêt Jordan. Par conséquent, cela met de la pression sur le gouvernement.
À Chicoutimi, deux procès pour voies de fait et fraude ont été reportés et un individu n’a pas reçu comme prévu sa sentence pour agression sexuelle. Tous les dossiers ont été reportés plus tard cette semaine, pour choisir de nouvelles dates.
Même chose en cour criminelle d’Alma et de Roberval qui avaient des rôles chargés. Seules les enquêtes de remise en liberté de personnes détenues ont procédé pour fixer des dates d’enquêtes assignées.
Et ce n’est pas terminé, puisque mardi, une journée où il y a des dizaines de dossiers sur le rôle à Chicoutimi (il compte 24 pages), les avocats ne renonceront pas à la lecture des chefs d’accusation comme à leur habitude (il peut y avoir plusieurs chefs dans un seul dossier) ni à la lecture des avis linguistiques pour chaque accusé, ce qui aura pour effet de retarder la lecture du rôle. Puis, le 15, les avocats ne se présenteront pas à la cour à 9h30 et arriveront à des heures différentes. D’autres actions sont prévues plus tard d’ici à la fin du mois.
Déraisonnables
La semaine dernière, les avocats salariés de l’Aide juridique dénonçaient leurs conditions de travail, dont l’écart est sur le point de se creuser avec leurs collègues de la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP), soulignant au passage que ceux de pratique privée refusaient de plus en plus les mandats de l’Aide juridique.
Me Fundaro cite comme exemple le tarif fixe de 600 $ accordé pour une accusation portée par acte criminel (plus grave que portée par sommation). C’est le montant que touchera l’avocat, qu’il y ait procès ou non. Si son client plaide coupable à la première occasion, c’est 600 $. Oui, c’est payant. Mais s’il y a un procès de deux jours, le tarif ne change pas.
On ne tient pas compte du temps passé à préparer la cause, ni de celui passé au tribunal.
«Souvent, je travaille pour moins que le salaire minimum. Mais j’aime mon travail; j’aime aider la clientèle vulnérable. Il n’y a rien de mieux que de me coucher le soir après avoir permis à une personne de se sortir de la criminalité et de l’emprise de la drogue, parce que je lui ai fait suivre une thérapie», dit l’ancien avocat de l’Aide juridique qui continue de servir sa clientèle dans le privé.
En discutant à bâtons rompus avec les avocats installés sur le piquet de grève, on entend des anecdotes où ils racontent avoir payé de leur poche des expertises médicales pour préparer un procès, le temps non rémunéré à rassurer les membres de la famille, à rechercher des thérapies ou à fouiller dans la jurisprudence. «On n'a pas une cenne pour ça. On paye de notre poche, mais que peut-on faire d’autre si on veut le défendre?», dit l’un d’eux.
Les causes qui se règlent rapidement par un plaidoyer de culpabilité aident à renflouer les coffres, mais ça signifie quoi, demandent les avocats. On décourage nos clients de faire des procès? Ce n’est pas ça la justice!
Pour un criminaliste, les prestataires de l’Aide juridique peuvent représenter 50% ou même 80% de la clientèle. Ils ont droit à une défense pleine et entière comme tous les citoyens. «La personne vulnérable qualifiée à l’Aide juridique doit avoir le droit à l’avocat de son choix, même s’il est de pratique privée», reprend Me Fundaro. Citant un collègue, il ajoute que notre système de justice sera en santé le jour où un avocat de pratique privée sera en mesure de ne servir que la clientèle de l’Aide juridique sans mourir de faim.
Le 6 juin, le rapport final du Groupe de travail indépendant sur la réforme de la structure tarifaire de l’Aide juridique a été rendu public. Selon Me Fundaro, les associations représentant les avocats sont satisfaites des propositions qu’il contient et demandent au gouvernement de s’engager à les mettre en oeuvre.
Parmi la foule de mesures, il propose un modèle mixte basé sur une tarification forfaitaire et à l’acte avec, au préalable, une analyse exhaustive afin de déterminer la charge de travail applicable à tous les services rendus dans le cadre du régime d’Aide juridique et d’y fixer un tarif.
Le groupe de travail propose une tarification spéciale pour les articles les plus graves du Code criminel comme les agressions sexuelles, le proxénétisme, l’empoisonnement, les crimes contre la personne, etc., au même titre que le meurtre et les tentatives de meurtre.
Il demande aussi que le plafond annuel que peut toucher un avocat avant de voir sa rémunération réduite de 65% passe de 140 000 $ à 200 000 $.