L’origine du conflit entre les Hurons-Wendats et les Innus

Le chef de Mashteuiatsh, Gilbert Dominique.

Le Conseil de la Nation huronne-wendat a détruit les aménagements de chalets de deux familles innues, au début du mois de juin, dans la Réserve faunique des Laurentides. Son objectif : remettre à l’état naturel toute nouvelle installation non autorisée sur le territoire, le Nionwentsïo, qu’elle juge exclusif. Mais quelle est l’origine de ce conflit et quelles sont les prétentions territoriales des Hurons-Wendats et des Innus?


En décembre 2021, le Conseil de la Nation huronne-wendat (CNHW) a voté la Loi de la Nation huronne-wendat concernant l’aménagement de sites et de constructions à des fins d’activités coutumières sur le Nionwentsïo.

Selon le CNHW, cette loi est fondée sur le droit à l’autodétermination, protégé par le Traité Huron-Britannique du 5 septembre 1760, la Constitution du Canada et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et elle aurait préséance sur les autres lois québécoises et canadiennes.



En avril, le CNHW a tenu une assemblée publique menant à une Déclaration d’affirmation territoriale stipulant que toute nouvelle installation non autorisée sur son territoire, le Nionwentsïo, serait remise à son état naturel.

Dès le mois de février, une lettre avait été envoyée à Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, le conseil de bande de Mashteuiatsh, pour exiger l’arrêt de la construction de campements innus. Mashteuiatsh a refusé d’obtempérer, proposant un dialogue sur le partage du territoire.

Le Grand Chef du CNHW, Rémy Vincent, a répondu qu’il était ouvert aux discussions en ajoutant « que tout site faisant l’objet d’une nouvelle installation permanente/camp et qui se trouve sur la partie à l’extérieur du Nitassinan de Mashteuiatsh et qui fait partie du Nionwentsïo sera automatiquement remis à l’état naturel. Un avis de non-conformité sera émis pour une installation permanente existante ».

Deux terrains ont été saccagés dans la Réserve faunique des Laurentides, où une lettre avec la mention du conseil de bande de la Nation huronne-wendat était visible. Wendake n’a pas réfuté les allégations à ce sujet, lundi.

Les menaces ont été mises à exécution au début du mois de juin, lorsque deux aménagements de campements innus, qui devaient être construits cet été, ont été saccagés. Le CNHW a laissé une lettre sur les lieux disant notamment « Vous n’êtes pas autorisés à vous installer sur notre territoire ».

Un manque de consultation qui crée des remous



« Les gouvernements sont responsables d’une situation provoquée par une négociation sans consultation de notre Première Nation, a soutenu Rémy Vincent dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux cette semaine. Il ne faut pas oublier qu’une des pires pratiques colonialistes reconnues est celle de la négation de territoire exclusif d’une Première Nation de s’installer sur ce territoire sans aucun droit ni consultation. Nous utilisons les mécanismes à notre disposition pour corriger la situation et c’est dans cette voie que nous nous sommes engagés. »

Le chef de Mashteuiatsh, Gilbert Dominique, déplore cette attitude, car nul ne peut se faire justice soi-même dans une société de droit, d’autant plus qu’aucun document ne donne des droits exclusifs aux Wendats, dit-il. 

Rémy Vincent n’a pas voulu accorder d’entrevue au Progrès pour préciser sa pensée et la stratégie de sa Nation en ce qui a trait aux revendications territoriales.

Selon les informations trouvées sur le site Web de Wendake, la négociation sans consultation à laquelle il fait référence est l’Entente de principe d’ordre général (EPOG) que trois communautés innues ont signé avec les gouvernements fédéral et provincial, en 2004.

Dans cette entente, chaque communauté innue a un territoire qui lui est propre, ainsi qu’un territoire partagé entre les communautés de Mashteuiatsh, Essipit et Pessamit, soit la partie sud-ouest, qui part du fjord du Saguenay et qui va au-delà de la ville de Québec, en englobant une partie de la Réserve faunique des Laurentides.

Lors de la négociation de l’EPOG, les Hurons-Wendats ont été outrés de ne pas être consultés par le gouvernement fédéral.



Selon Gilbert Dominique, Québec était un carrefour de plusieurs Nations. « Les Innus étaient là, mais il y avait aussi les Malécites, les Abénakis, les Atikamekw et les Hurons-Wendats, dit-il. C’est une zone de partage entre certaines Nations. On ne nie pas l’existence des droits des Wendats. Le fédéral a commis une erreur en ne les consultant pas, mais ce n’est pas de notre ressort. Avant la ratification d’un traité, on souhaite avoir des ententes avec des zones de partage du territoire avec les Nations voisines. On a signé une entente avec les Cris. On est en train de négocier avec Essipit et avec les Atikamekw et on a l’intention de faire la même chose avec les Wendats. On est ouverts au dialogue pour partager le territoire, mais pas avec la notion d’exclusivité. »

Des précisions juridiques

Le CNHW plaide que le traité Huron-Britannique de 1760 leur confère des droits sur le territoire, et que ces droits ont été prouvés par l’arrêt R. c. Sioui, en 1990. La décision est toutefois nuancée, ne précisant pas les limites du territoire.

« Bien que le traité accorde aux Hurons la liberté d’exercer leurs coutumes et leur religion, il ne fait aucune mention du territoire sur lequel ces droits peuvent s’exercer », peut-on y lire. La décision fait aussi référence au territoire fréquenté par les Hurons en 1760, ce qui est interprété à la lettre par le CNHW, qui revendique presque tout le territoire où ils circulaient.

À la suite de la signature de l’EPOG, en 2004, le CNHW a lancé des recours juridiques pour obtenir un droit de veto sur les négociations territoriales des Innus. En décembre 2014, le juge Yves de Montigny a tranché le sujet, donnant partiellement raison à la Nation huronne-wendat, en Cour fédérale, disant que le gouvernement canadien devait « s’engager sans délai dans des discussions sérieuses » avec les Wendats et les Innus « quant au territoire que devrait couvrir l’EPOG ».

Ces derniers n’ont toutefois pas obtenu un droit de veto, jugé « inadmissible », car il viendrait « contrecarrer plus de 30 ans de négociations ».

De plus, la demande de reconnaissance d’un droit exclusif sur le territoire n’a pas été retenue.

« Une simple lecture du Traité de 1760 révèle que l’assiette territoriale des droits conférés n’est pas définie, a relevé le juge de Montigny. La région comprise entre le Saguenay et le Saint-Maurice ne constituait pas des terres sur lesquelles existait un titre aborigène en faveur des Hurons, puisque ces derniers n’avaient pas la possession historique de ces terres, et que les Britanniques n’auraient vraisemblablement pas accordé des droits absolus qui pouvaient paralyser la Couronne dans l’utilisation de nouveaux territoires conquis. »