Chronique|

Savoir reculer

Ottawa exige toujours de ses quelque 280 000 fonctionnaires fédéraux qu’ils soient vaccinés.

CHRONIQUE / «C’est le temps des vacances», fredonne-t-on un peu tous ces jours-ci. Si certains rêvent de plages ou de rivages étrangers, d’autres devront rester sagement à la maison ou s’en tenir à une destination atteignable en voiture, car le gouvernement fédéral continue d’exiger des voyageurs qu’ils soient vaccinés avant de monter à bord d’un avion ou d’un train. Tout comme il maintient l’obligation vaccinale pour ses fonctionnaires pourtant encore en télétravail. La science évolue, mais pas Ottawa, qui continue à voir un avantage politique à tenir la ligne dure sanitaire.


Les mesures sanitaires tombent les unes après les autres au pays. Les neuf provinces qui avaient instauré une obligation vaccinale l’ont toutes abandonnée, la majorité d’entre elles en février ou en mars. La plus tardive en la matière, Terre-Neuve, s’en est débarrassée la semaine dernière. La Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, qui avaient, comme Ottawa, suspendu sans solde leurs fonctionnaires non vaccinés les ont réintégrés fin mars.

Les masques tombent aussi. Toutes les provinces l’ont abandonné, en majorité en mars. Le Québec et Terre-Neuve ont suivi en mai. Même dans les transports en commun, il ne sera plus obligatoire d’ici quelques jours en Ontario et dans une semaine au Québec. Comme on peut monter dans un autobus sans fournir de preuve vaccinale, cela signifie qu’un passager non masqué pourra dorénavant se retrouver sur la même banquette qu’un non-vacciné. Horreur? Cela ne semble pas inquiéter Québec ou Toronto, mais Ottawa voit les choses autrement.

La semaine dernière, le gouvernement fédéral a en effet reconduit sa politique de vaccination obligatoire pour les voyageurs aériens et ferroviaires, comme il doit le faire toutes les deux semaines. L’obligation sera donc maintenue au moins jusqu’à mercredi et les déclarations récentes du ministre des Transports ne laissent pas penser que ça changera. Pas vacciné? Vous n’irez encore pas dans les Rocheuses cette année.

On continue aussi de tester de manière aléatoire les voyageurs rentrant au pays par les voies terrestres ou par l’un des quatre principaux aéroports — Montréal, Toronto, Vancouver et Calgary. En ajoutant les voyageurs non vaccinés jouissant d’une exemption, ce sont environ 4600 personnes qui sont ainsi soumises à un test chaque jour. À quoi servent ces tests? À détecter de nouveaux variants, nous dit-on. Ottawa assure qu’ils ne sont pas responsables des délais dans les aéroports, puisqu’ils sont pour la plupart auto-administrés par les voyageurs une fois rentrés chez eux.

Le masque demeure obligatoire dans les édifices du Parlement, alors que l’Assemblée nationale a abandonné cette règle

Ottawa exige toujours de ses quelque 280 000 fonctionnaires fédéraux qu’ils soient vaccinés. Pourtant, ils peuvent encore travailler de la maison. En date du 30 mai, 2108 fonctionnaires étaient suspendus sans solde. (Le Conseil du Trésor avait d’abord dit qu’ils étaient 2446, mais a révisé son total depuis) Le gouvernement avait jusqu’à la mi-mai pour réévaluer cette obligation, mais il ne l’a pas encore fait. Il se donne maintenant jusqu’au 23 juin. Les deux principaux syndicats qui avaient au départ endossé la vaccination obligatoire, l’Alliance de la fonction publique du Canada et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, réclament maintenant son abandon. Des griefs ont été déposés en ce sens et l’Alliance réclame même une compensation financière pour les employés suspendus.

Enfin, le masque demeure obligatoire dans les édifices du Parlement — alors que l’Assemblée nationale a abandonné cette règle — et les députés et autres employés parlementaires ne peuvent toujours pas venir travailler en personne s’ils ne sont pas vaccinés. «On parle d’un milieu de travail», s’est justifié la semaine dernière Mark Holland, le leader du gouvernement à la Chambre. «Nous avons des gens immunosupprimés, des gens qui ont des sentiments d’insécurité variables à mesure qu’on passe à travers cette pandémie, alors nous faisons tout pour que le milieu de travail soit sécuritaire et que les gens se sentent en sécurité.»

Certaines de ces mesures ne procurent pratiquement plus de protection additionnelle. Avec Omicron, la science nous dit que la vaccination ne change pas de manière significative notre potentiel de transmission. Être vacciné demeure LA chose à faire pour se protéger soi-même de complications graves de la COVID. Mais ne pas être vacciné ne met pas davantage votre voisin à risque d’une contamination. Alors pourquoi continuer à persécuter ceux qui ont fait un choix personnel qui n’a plus d’impact sur les autres?

Parce que politiquement, c’est encore payant.

Vendredi dernier, la députée conservatrice Cathay Wagantall s’est fait escorter jusqu’à son véhicule par le sergent d’armes de la Chambre des communes parce qu’elle s’est présentée en personne au Parlement sans être vaccinée. Cette députée de la Saskatchewan avait conduit sa voiture jusqu’à Ottawa et espérait réintégrer son bureau, auquel elle n’a plus accès depuis novembre. Il y avait bien sûr du théâtre dans son geste. Elle voulait tester le système pour mieux le dénoncer. Mais l’image est forte néanmoins. Mme Wagantall a été élue avec 69 % des voix dans sa circonscription. Tout cela est d’autant plus ironique que trois jours plus tôt, sans que cela ne pose problème, elle s’était trouvée côte à côte avec Justin Trudeau, tous deux sans masque, lors du déjeuner-prière annuel.

Vendredi dernier, la députée conservatrice Cathay Wagantall s’est fait escorter jusqu’à son véhicule par le sergent d’armes de la Chambre des communes parce qu’elle s’est présentée en personne au Parlement sans être vaccinée.

Il n’y aurait qu’une poignée de députés fédéraux n’étant pas vaccinés, et ils s’adonnent à être tous conservateurs. Une aubaine pour les libéraux! En maintenant ces obligations en place, ils peuvent continuer à attaquer les conservateurs.

L’intransigeance fédérale n’a par ailleurs d’égale que son incohérence. Ottawa maintient son obligation vaccinale, mais n’ose pas la mettre à jour à trois doses. Normal: le nombre de citoyens qui se retrouveraient interdits de voyage bondirait. À la veille des vacances, ce ne serait pas populaire! Seulement 49 % de toute la population a reçu trois doses (contre 82 % pour deux doses). Pourtant, on sait bien que la protection à deux doses ne vaut plus grand-chose…

Justin Trudeau et les libéraux n’ont pas tiré de leçons de l’occupation des camionneurs de février. Ils maintiennent des mesures sanitaires que le milieu médical lui-même ne juge plus essentielles afin de se positionner politiquement. Et au diable si de vraies personnes écopent. Après, on s’étonnera que les Pierre Poilievre de ce monde fassent preuve d’un entêtement équivalent, par exemple en promettant d’interdire ad vitam aeternam les obligations vaccinales. C’est ainsi que s’accroît toujours plus la polarisation.