Aussitôt, une impression de bien-être traverse mon esprit. De bons souvenirs tentent de remonter à la surface. Les yeux fermés pour mieux voyager dans le temps, je hume à nouveau cette douce senteur de la nature.
Ça me rappelle un endroit qui remonte à mes propres racines. Dans la maison de chez mes grands-parents, un espace près des grandes fenêtres du salon accueillait la collection de plantes de ma grand-mère. Chouchoutés et dorlotés, les végétaux d’intérieurs bénéficiaient d’une vue imprenable sur la rivière. Si certains étaient suspendus, la majorité d’entre eux reposaient sur un mobilier composé d’étagères en plastique transparent. Les pots hétéroclites étaient disposés selon des critères que seule celle qui s’en occupait maîtrisait. Parfois, quelques plantes étaient en quarantaine alors que d’autres étaient regroupées en fonction des soins adaptés à leur situation commune.
Un des petits bonheurs de ma grand-mère était d’assister à la guérison d’une plante grâce à ses bons traitements. Ado, il m’arrivait de l’accompagner dans les sous-sols d’église où d’immenses «ventes de trottoir» étaient organisées. Pendant que je me cherchais des vêtements à 50 cents, la passionnée d’horticulture s’intéressait plutôt aux petites plantes mal en point. Elle choisissait ses futurs pensionnaires en fonction de la rareté de leur maladie. Une fois les végétaux placés dans son repère, ma grand-mère les étudiait dans le but de les soigner.
L’odeur terreuse embaume maintenant l’entièreté de l’habitacle de notre voiture. Je perçois même le parfum des plantes grimpantes qui sont déjà en fleurs. Tout à coup, c’est le souvenir du désherbage de mes plates-bandes qui me revient en tête.
Lorsque l’on a emménagé à Trois-Rivières, la maison que nous avons choisie avait une cour bien garnie de fleurs et de vivaces de toutes sortes. Il y avait même un petit étang artificiel avec une fontaine d’eau. Le remplir de terre avait été notre première mission au printemps. L’aménagement paysager était splendide, mais la possibilité qu’un de nos jeunes enfants profite d’un moment d’inattention pour s’approcher et tomber dans l’eau était suffisante pour nous rebuter à le garder. De toute façon, une piscine hors terre allait bientôt être installée avec toutes les mesures de sécurité nécessaires.
À l’époque, nous avions soigneusement déplacé les racines des plus belles plantes qui bordaient l’ancien bassin d’eau pour les transplanter tout au fond de la cour. Les deux mains dans la terre, j’adorais passer du temps à retirer les envahisseurs et entretenir les vivaces sélectionnées. Ma fleur préférée, encore aujourd’hui, est celle produite par le lys asiatique. Non seulement elle dégage une fragrance remarquable, sa taille et ses couleurs délicatement tachetées de rose sont tout autant spectaculaires. Comme un cadeau offert par la nature, les pétales de cette fleur rose ou blanche s’ouvrent en étoile aux alentours de ma date d’anniversaire.
Sortie de mes pensées, j’aperçois mon amoureux qui pousse d’une main le panier jusqu’à l’endroit désigné. Le voir s’exécuter me rappelle combien il avait été travaillant pour m’amener en fauteuil roulant au cœur de la forêt.
C’était peu de temps après avoir reçu mon congé d’hôpital. Privé pendant de longs mois de l’immensité du ciel et du vent qui fait frétiller les feuilles dans les arbres, mon amoureux avait décidé de m’amener aux passerelles à Nicolet. Été comme hiver, nous avions l’habitude de nous y rendre en famille pour profiter du spectacle saisissant de la faune et de la flore. La longue structure de bois passe d’abord dans une forêt, puis par-dessus un marais pour finalement conduire à une grande tour d’observation. Celle-ci s’élève devant le fleuve Saint-Laurent avec le lac Saint-Pierre comme toile de fond.
Avant les travaux de réfection de 2018, une ou deux pentes permettaient l’accès à la forêt. Tout naturellement, nous avions emprunté la première rencontrée. Mais rendu au niveau du sol, on avait évidemment compris que ce n’était pas un endroit pour un fauteuil roulant. Malgré la boue, les roches et les racines à travers le sentier, mon amoureux m’avait poussée assez loin pour que j’aie le sentiment d’être au beau milieu de la nature. Quel endroit ressourçant et vivant!
Que ce soit dans une forêt, dans mon jardin ou dans ma maison, me retrouver entourée de plantes vertes et de fleurs colorées me fait me sentir bien. Certes, je n’ai plus mes doigts pour creuser, ni même mes pieds pour sentir l’herbe sur laquelle je marche, mais je n’ai pas perdu le contact avec la terre pour autant.
Bien sûr, les sensations sont différentes. Mon efficacité aussi. Au lieu que la terre se loge sous mes ongles, ce sont les petits crochets au bout de mes pinces que je dois nettoyer. Au lieu de vociférer après avoir marché sur une roche pointue, ce sont les roues de mon fauteuil roulant qui répandent la terre sur notre plancher qui me fait rager. Au lieu de courir librement dans les sentiers d’une forêt, je peux y marcher sur une courte distance grâce à mes prothèses et avec mes béquilles.
Toucher ses racines… différemment.
Voilà que mon amoureux revient dans la voiture me ramenant à l’instant présent. Les semis qu’il fait pousser à l’intérieur depuis quelques semaines sont plus que prêts à être transplantés. Les racines pourront enfin profiter d’espace et de bonne terre. En quittant le stationnement du centre du jardin, je sais que la journée sera belle!
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Le Parc Écomaritime de l’Anse-du-Port, où la grande passerelle est accessible en fauteuil roulant, est situé au 845 chemin du Fleuve Ouest, à Nicolet.