La chanteuse innue Élisabeth St-Gelais candidate au Concours Prix d’Europe

La soprano Élisabeth St-Gelais participera à la 110e édition du Concours Prix d’Europe, qui réunira 22 interprètes. Elle chantera en demi-finale le 16 juin, à la Chapelle historique du Bon-Pasteur de Montréal.

Au début, Élisabeth St-Gelais n’a pas mesuré la chance que représentait son admission au Concours Prix d’Europe. La soprano originaire du Saguenay, membre de la communauté innue, s’était inscrite en croyant que tous les interprètes qui soumettaient leur candidature étaient automatiquement acceptés. On peut donc imaginer sa surprise lorsqu’on lui a appris que ce privilège, ils avaient été des centaines à le revendiquer.


« Je suis déjà contente de faire partie des 22 candidats qui ont été retenus, parmi lesquels on retrouve quatre chanteurs. On ne fait pas des concours juste pour la bourse. Ça représente des expériences de scène, de salle et aussi de pression », a commenté la jeune femme au cours d’une entrevue téléphonique accordée au Progrès.

Peu de temps après sa participation au Concours Prix d’Europe, Élisabeth St-Gelais amorcera un séjour d’un mois à Berlin. Il s’agira de ses débuts en Allemagne, dans une production de La<em> chauve-souris</em>.

Elle en est d’autant plus consciente qu’en mars, on lui a décerné le Wirth Vocal Prize, à l’issue d’une compétition réservée aux étudiants en chant de l’Université McGill. C’est d’ailleurs le programme défendu à cette occasion que la soprano a envoyé à l’Académie de musique du Québec, l’organisme qui chapeaute le Concours Prix d’Europe. Cet enregistrement lui a de nouveau porté bonheur.

Il comprenait des mélodies d’Henri Duparc et Richard Strauss, un extrait des Noces de Figaro, ainsi qu’une pièce tirée de l’opéra The Potawatomi, de la compositrice anishnnaabe Barbara Assiginaak. Le 16 juin, jour où Élisabeth St-Gelais participera à la demi-finale du Concours Prix d’Europe, un événement tenu à la Chapelle historique du Bon-Pasteur de Montréal, d’autres œuvres seront mises en valeur.

« Cette fois, je vais présenter un cycle de mélodies un peu tristes composées par Menotti, une pièce de Schumann, en plus d’un air en langue tchèque tiré de l’opéra Rusalka, de Dvorak. Il y aura également une chanson en anishnnaabe », décrit la soprano. Elle ajoute que pour la finale, qui aura lieu le 17 juin, on demandera aux artistes de soumettre un nouveau programme.

Débuts à Berlin

Pour le commun des mortels, juste le fait de penser à cette succession d’événements donnerait le tournis. Or, non seulement Élisabeth St-Gelais affiche une remarquable sérénité, mais elle planche simultanément sur un projet qui la mènera à Berlin, en juillet. Il s’agit de l’opéra La chauve-souris de Johann Strauss II, présenté au Berlin Opera Academy.

Élisabeth St-Gelais

« Je travaille mon allemand, puisque c’est la première fois que je chanterai dans ce pays. Je suis excitée par cette belle nouvelle. Je séjournerai quatre semaines là-bas et ce sera pour une prise de rôle, fait observer la Saguenéenne, qui campera le personnage de Rosalinde. C’est vrai que ça me fait un printemps très occupé, mais je suis bien ancrée dans ma technique. Ça ne m’inquiète pas. »

À cet égard, elle se dit privilégiée d’avoir eu des professeurs comme Luce Gaudreault, au Collège d’Alma, ainsi qu’Aline Kutan, à l’Université McGill. « Luce Gaudreault est une sommité. Elle nous prépare bien pour l’université, tandis qu’Aline Kutan a toujours été une chanteuse naturelle, avec une technique saine. Elle nous montre comment garder notre voix en forme », énonce Élisabeth St-Gelais.

Ce qu’ont fait ces maîtres, c’est affiner le potentiel qu’elle affichait dès l’enfance, sans toutefois le réaliser. C’est une enseignante qui a allumé une première lumière lorsqu’elle était âgée de neuf ans, en lui suggérant d’aborder le répertoire classique. À partir de ce moment, la future soprano n’a plus regardé derrière.

« Le classique, c’est ma maison. Dans les opéras, on retrouve des enseignements philosophiques sur lesquels on peut méditer, alors que la poésie des textes, c’est assez fort pour transformer une vie, affirme Élisabeth St-Gelais. En plus, je suis ce qu’on appelle une soprano “full lyric”, avec une voix très large. Vers l’âge de 30 ans, il y a du répertoire magnifique qui m’attend. »

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«NOUS SOMMES À L'AIR DE LA RÉCONCILIATION»

« Il est important de faire de la place pour tout le monde et c’est ce qui arrive avec nous, les Premières Nations. Dans toutes les sphères de la société, nous devons y arriver, ce qui comprend notamment le monde de la musique, où des compositeurs ont commencé à prendre les choses en main. Moi-même, en tant qu’interprète, je prends des décisions en fonction de ça », raconte la soprano Élisabeth St-Gelais.

Membre de la communauté innue, elle a vécu pendant quelques années à Pessamit, avant de revenir au Saguenay avec les membres de sa famille. Très jeune, la chanteuse a développé un goût pour les grands airs du répertoire, ce qui ne l’empêche pas de chérir des projets comme ceux que porte la compositrice anishnaabe Barbara Assiginaak.

Elle a participé à ses opéras intitulés Hide and Seek et The Potawatomi, tout en s’associant aux productions de la compagnie autochtone Unsettled Score. « Ce que fait Barbara est tellement beau et tellement de notre temps. Ça tombe bien, puisque les gens ont le goût de voir des œuvres émanant des Premières Nations », se réjouit Élisabeth St-Gelais.

Joignant le geste à la parole, elle a inséré un extrait de l’opéra The Potawatomi dans son dossier de candidature, afin de participer au Prix d’Europe. « C’est très important pour moi de chanter en innu et en anishnaabe », explique la jeune femme. Fidèle à cette logique, elle interprétera un air en langue anishnnabe le 16 juin, devant les membres du jury rassemblés à l’occasion de la demi-finale.

« À notre époque, il est important d’ouvrir nos cœurs, puisque nous sommes à l’ère de la réconciliation. Je crois également que dans tous les domaines de la création artistique, les Premières Nations doivent se trouver au cœur du processus décisionnel », estime la soprano, heureuse de contribuer à cette évolution des mentalités.